Le moment essentiel des fiançailles
Je vous ai expliqué, il y a quelques jours, que les mariages de mon époque sont moins artificiels que veut le conserver la croyance qui est parvenue jusqu'à vous. Cela dit, ils ne sont pas non plus la décision et l'affaire des seuls jeunes amoureux (ou pas!...). Même si leurs inclinations personnelles comptent dans le choix final, les familles sont également très présentes.
Car le mariage, c'est aussi un engagement devant la communauté. Celle de la religion, nous y reviendrons en parlant de la cérémonie elle-même. Mais aussi (et je dirais presque "mais surtout", à ce stade) celle de la cité, du village, des voisins...
Ne le cachons pas: le mariage, à mon époque, c'est au moins autant une affaire de patrimoine familial qu'une affaire personnelle entre deux êtres.
Il est conclu au terme de longues négociations, de longs pourparlers. Lorsque ceux-ci sont bien avancés, même s'ils ne sont pas encore totalement terminés, il faut éliminer le risque de brusques changements venant de l'extérieur. En un mot, et pardon de le dire de façon peut-être un peu froide, il faut faire savoir de façon solennelle qu'entre untel et unetelle est envisagée une union, et donc qu'ils ne sont plus "disponibles" sur le grand marché matrimonial.
C'est le but, essentiel, de la célébration des fiançailles. Il ne s'agit pas, comme souvent à votre époque, de permettre aux deux familles de faire connaissance: dans nos petites communautés villageoises (c'est moins vrai dans les grandes villes, mais hormis Perpignan il n'y en a pas par chez nous), tout le monde se connaît déjà; plus ou moins selon les affinités, mais suffisamment pour qu'on ne soit pas en terrain inconnu.
Il ne s'agit pas non plus d'un engagement religieux; pas encore. Les fiançailles sont parfois, chez certains, rendues plus solennelles par une messe, mais ce n'est pas une nécessité.
Il s'agit d'une promesse, d'un engagement social. À la suite des fiançailles, les futurs mariés ne peuvent plus se considérer, et ils ne peuvent plus être considérés par les autres, comme libres de leur engagement futur. Ils ne sont pas encore matrimonialement unis, ils ne mèneront pas encore une vie commune (quoique...), mais ils se sont promis l'un à l'autre pour un avenir plus ou moins proche. Et ils l'ont fait savoir à toute la communauté.
D'ailleurs, il arrive fréquemment que dans l'acte paroissial que le curé rédige lors de la cérémonie de mariage, il rappelle cette étape des fiançailles.
Je vous entends déjà me répondre: et les ruptures de fiançailles, alors? Elles existent, non?
Bien sûr!... C'est assez rare, mais cela arrive.
Pourquoi? Chaque cas est différent et il serait absurde de prétendre qu'il y a une raison et une seule aux ruptures de fiançailles qui se produisent. Ce qui est certain, c'est que des fiançailles rompues entraînent forcément réparation. Et je parle de réparation financière. Souvent non négligeable.
Car au-delà des deux ex-futurs mariés, c'est la situation des familles qui est mise en cause par une rupture de fiançailles. Aux yeux de toute la communauté, un clan familial se trouve délaissé par un autre, malgré l'engagement qui avait été pris. Forcément, et sans doute avec excès mais c'est ainsi, cela est interprété comme un affront, une tache à l'honneur familial. On se demandera forcément, au sein de toutes les autres familles, quelle est la vraie raison de ce revirement soudain. Et celle-ci ne peut, bien sûr, qu'être négative pour la réputation du groupe délaissé. Surtout si la rupture vient du fiancé ou de sa famille: délaisser sa fiancée, c'est une sorte de répudiation avant l'heure!...
C'est pour éviter cela que les fiançailles se préparent avec autant de soin que le mariage lui-même...