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Le moment essentiel des fiançailles

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai expliqué, il y a quelques jours, que les mariages de mon époque sont moins artificiels que veut le conserver la croyance qui est parvenue jusqu'à vous. Cela dit, ils ne sont pas non plus la décision et l'affaire des seuls jeunes amoureux (ou pas!...). Même si leurs inclinations personnelles comptent dans le choix final, les familles sont également très présentes.

Car le mariage, c'est aussi un engagement devant la communauté. Celle de la religion, nous y reviendrons en parlant de la cérémonie elle-même. Mais aussi (et je dirais presque "mais surtout", à ce stade) celle de la cité, du village, des voisins...

Ne le cachons pas: le mariage, à mon époque, c'est au moins autant une affaire de patrimoine familial qu'une affaire personnelle entre deux êtres.

La négociation est rude, mais les futurs mariés y participent

Il est conclu au terme de longues négociations, de longs pourparlers. Lorsque ceux-ci sont bien avancés, même s'ils ne sont pas encore totalement terminés, il faut éliminer le risque de brusques changements venant de l'extérieur. En un mot, et pardon de le dire de façon peut-être un peu froide, il faut faire savoir de façon solennelle qu'entre untel et unetelle est envisagée une union, et donc qu'ils ne sont plus "disponibles" sur le grand marché matrimonial.

C'est le but, essentiel, de la célébration des fiançailles. Il ne s'agit pas, comme souvent à votre époque, de permettre aux deux familles de faire connaissance: dans nos petites communautés villageoises (c'est moins vrai dans les grandes villes, mais hormis Perpignan il n'y en a pas par chez nous), tout le monde se connaît déjà; plus ou moins selon les affinités, mais suffisamment pour qu'on ne soit pas en terrain inconnu.
Il ne s'agit pas non plus d'un engagement religieux; pas encore. Les fiançailles sont parfois, chez certains, rendues plus solennelles par une messe, mais ce n'est pas une nécessité.
Il s'agit d'une promesse, d'un engagement social. À la suite des fiançailles, les futurs mariés ne peuvent plus se considérer, et ils ne peuvent plus être considérés par les autres, comme libres de leur engagement futur. Ils ne sont pas encore matrimonialement unis, ils ne mèneront pas encore une vie commune (quoique...), mais ils se sont promis l'un à l'autre pour un avenir plus ou moins proche. Et ils l'ont fait savoir à toute la communauté.

D'ailleurs, il arrive fréquemment que dans l'acte paroissial que le curé rédige lors de la cérémonie de mariage, il rappelle cette étape des fiançailles.

La formule rituelle qu'on trouve parfois: "Après les publications et les fiançailles ..."

Je vous entends déjà me répondre: et les ruptures de fiançailles, alors? Elles existent, non?
Bien sûr!... C'est assez rare, mais cela arrive.
Pourquoi? Chaque cas est différent et il serait absurde de prétendre qu'il y a une raison et une seule aux ruptures de fiançailles qui se produisent. Ce qui est certain, c'est que des fiançailles rompues entraînent forcément réparation. Et je parle de réparation financière. Souvent non négligeable.
Car au-delà des deux ex-futurs mariés, c'est la situation des familles qui est mise en cause par une rupture de fiançailles. Aux yeux de toute la communauté, un clan familial se trouve délaissé par un autre, malgré l'engagement qui avait été pris. Forcément, et sans doute avec excès mais c'est ainsi, cela est interprété comme un affront, une tache à l'honneur familial. On se demandera forcément, au sein de toutes les autres familles, quelle est la vraie raison de ce revirement soudain. Et celle-ci ne peut, bien sûr, qu'être négative pour la réputation du groupe délaissé. Surtout si la rupture vient du fiancé ou de sa famille: délaisser sa fiancée, c'est une sorte de répudiation avant l'heure!...

C'est pour éviter cela que les fiançailles se préparent avec autant de soin que le mariage lui-même...

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La Mare de Déu de la Consolació

Publié le par Jaume Ribera

Encore un ermitage!

Oui, je sais, je vous ai déjà plusieurs fois parlé de ces lieux voués à l'érémitisme, courant socio-religieux important dans tout le pays catalan, et qui reprend de la vigueur durant mon siècle. Un courant qui est aussi une réponse au discrédit d'une église catholique traditionnelle, qui s'est perdue depuis plus d'un siècle dans des luttes internes (contre le schisme protestant, entre différentes factions autant politiques que religieuses, durant les nombreuses guerres du siècle...) qui l'ont éloignée de la population.
Parce qu'il vit au sein de la paroisse, et parce qu'il n'est pas enfermé comme le curé dans les rituels des cérémonies quotidiennes, l'ermite est quelqu'un d'important au sein de notre société. Que tout le monde connaît, sollicite, protège...

Toujours porteur de sa capelleta, ensemble d'images pieuses et de scènes liturgiques

C'est pour cela que de nombreux lieux de prière, plus ou moins isolés, se multiplient dans toute la région.
La Mare de Déu de la Consolació est l'un de ces lieux. Les Français l'appellent Notre Dame de la Consolation, mais c'est un détail: l'endroit, depuis plusieurs siècles, est voué à la Vierge Marie. Cela fait en effet longtemps que sur les traces d'un vieux temple païen datant d'avant le christianisme, dit-on, a été édifié un petit oratoire, que l'on trouve régulièrement cité depuis le XV° siècle comme abritant un ermite. Pas de façon permanente, mais par intermittence. Jusqu'à ce que l'endroit se développe, de mon temps, et accueille une présence plus régulière.

Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort anciennePlusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort anciennePlusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne
Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne

Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne

L'ermitage est situé légèrement au-dessus de Collioure, au bas de la pente dominée par la tour de Madeloc, dans un des rares endroits vraiment boisés de cette montée assez aride. La fraîcheur du lieu est favorisée par les quelques ruisseaux dévalant la pente, ici ou là, souvent à partir de fontaines isolées. Proche de la mer, et surtout de la cité de Collioure où les ermites peuvent aller se ravitailler, le lieu est propice au repos spirituel et à la méditation, suffisamment à l'écart des grandes voies de circulation pour que seuls y viennent ceux qui veulent vraiment y séjourner, ou chercher un réconfort.

Puisse ce havre de paix perdurer encore plusieurs siècles, à l'abri des agitations du moment!..

Publié dans Ma région

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Qui choisit en vue du mariage?

Publié le par Jaume Ribera

Dans la société catalane de mon époque, le mariage représente plusieurs choses.
Il est bien sûr (et avant tout) l'union de deux êtres pour la vie.
Mais il est aussi un engagement spirituel devant l'ensemble des croyants, ceux-ci s'incarnant en l'occurrence dans la communauté villageoise ou dans celle de la cité.
Il est également le résultat d'une négociation patrimoniale, parfois longue, entre deux familles.
Il est enfin, ne l'oublions pas, le préalable obligé à l'émergence d'une nouvelle famille, destinée à accueillir les enfants qui naîtront de l'union projetée.

Pour toutes ces raisons, vous devinez que les deux futurs époux ne sont pas les seuls, loin de là, qui ont leur mot à dire quand commence à se dessiner le projet d'une union. Même s'ils sont, a priori, les premiers concernés.
Cela dit, au risque de vous surprendre, ils ne sont pas mis à l'écart dans les tractations familiales et sociales précédant leur mariage. Patrick m'a parlé de la conviction de votre époque que les mariages de mon XVII° siècle sont tous arrangés entre les pères, et ne tiennent aucun compte des sentiments des deux futurs époux. Cette croyance est assez largement vraie pour la haute société. Ainsi, lorsqu'il est passé par Perpignan, au printemps 1660, le roi Louis XIV se rendait à son mariage avec une princesse espagnole qu'il n'avait jamais rencontrée auparavant.

Entre Louis XIV et Marie Thérèse d'Autriche: un mariage qui donna lieu à bien des négociations

Mais il n'en est rien dès qu'on ne parle plus des milieux de la noblesse.
D'abord parce que garçons et filles, nous nous connaissons tous; depuis notre plus tendre enfance quand nous sommes du même village; depuis pas beaucoup plus tard quand nous sommes de paroisses différentes. Cela fait donc des années que les affinités se sont développées, et que les parentèles les ont scrutées et constatées. Elles en tiennent compte, quand il s'agit de marier l'un avec l'autre. Et les futurs mariés eux-mêmes savent orienter le choix familial, en ne cachant pas leurs inclinations.
C'est vrai, des stratégies matrimoniales existent souvent. En tous cas lorsqu'il y a des biens en jeu. Mais ces stratégies visent seulement à l'union avec telle ou telle famille. Quant à savoir qui choisir au sein de la famille, c'est accessoire...

L'accueil au sein de l'autre famille: un moment important dans le long chemin qui mène au mariage

Les futurs mariés de mon époque interviennent d'autant plus dans le choix matrimonial que nous ne sommes plus très jeunes, au moment du mariage.
Les garçons se marient en moyenne vers 28-29 ans (je sais, je suis en retard, moi qui ai dépassé mes 30 ans...); les filles vers 25-26 ans. Et plus on avance dans les fratries, plus l'âge au mariage augmente (il faut du temps en effet pour rassembler une nouvelle dot).
C'est lorsque le niveau social s'élève, ou lorsqu'on se retrouve dans les grandes villes, surtout au sein des familles d'artisans, que l'âge au mariage baisse un peu.
Ou alors, lorsque des enfants sont orphelins, et qu'en les mariant, on tente de faire gérer leurs biens par une autre famille. Dans ces cas, c'est vrai, on peut trouver des filles mariées dès 12 ou 13 ans, des garçons qui convolent dès 14 ans... Mais c'est assez rare.

Lorsque le choix est fait, lorsque futurs mariés et familles sont d'accord, les discussions pour fixer les modalités pratiques peuvent commencer. Pas pour la cérémonie, pas encore.
Pour le partage des biens, la fixation de la dot, la détermination des droits que l'épouse conservera sur ses biens, ce que le mari pourra exiger de sa future belle-famille...

Mais c'est une autre étape, que nous évoquerons dans un prochain billet.

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Le château des rois de Majorque

Publié le par Jaume Ribera

Il y a quelques temps, je vous ai parlé de la citadelle de Perpignan. En son centre, se trouve l'antique château que Jaume II de Majorca fit édifier lors de son installation à Perpignan, dont il faisait sa nouvelle capitale. C'était durant le dernier quart du XIII° siècle.

Ce château (dont Patrick me dit que vous l'appelez palais, à votre époque) est désormais entouré de bâtiments austères et sans charme, à la vocation exclusivement militaire. Le château lui-même vieillit lentement, sans recevoir autant de soins que son prestigieux passé le mériterait. Et il se dégrade, forcément.
D'autant qu'il n'a pas été épargné durant le terrible siège de Perpignan, il y a une vingtaine d'années, lorsque les canons français le pilonnaient quotidiennement.
La rumeur se confirme en ville, selon laquelle le gouverneur de Noailles serait en train de pousser certains ministres du Roi, à Paris, à le faire restaurer pour lui redonner son efficacité militaire passée.
À l'origine, le château avait été construit pour être à la fois une résidence royale, avec ses logements et ses jardins privés, et un lieu de pouvoir, avec sa salle du trône, sa grande salle d'apparat, sa chancellerie abritant l'administration royale, et bien sûr la vaste cour d'honneur, au centre de l'édifice. Sans oublier naturellement les lieux de prière: petits oratoires dans les logements privés, et deux vastes chapelles superposées largement ouvertes sur la cour d'honneur.

Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction
Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction

Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction

Le tout, selon des témoignages écrits datant de l'époque, était magnifiquement décoré, inspiré par l'art oriental qui fascinait tant les princes européens à l'époque.

C'était la partie visible du château. Celle qui devait d'autant plus impressionner les invités de Jaume II que son pouvoir était fragile, car contesté par son frère, le roi Pere III d'Aragon. Et lorsque la campagne menée contre ce dernier par Jaume II et le roi français Philippe III le Hardi échoua, et qu'il fut menacé jusque dans sa capitale, c'est par les souterrains secrets de son château que Jaume II put s'enfuir. Ces souterrains, bien moins avenants et agréables que le reste, servent désormais de prisons, de cachots, d'entrepôts... J'ai eu l'occasion de m'y rendre pour interroger un prisonnier, durant l'enquête sur le fanal de Madeloc. Brrrrrr! Je plains ceux qui s'y sont trouvés logés malgré eux...
La rumeur veut que de ces souterrains, quelques étroits boyaux permettent de s'échapper en dehors de la ville. C'est ce que fit Jaume II, qui put ainsi se réfugier au château de Laroque. J'ignore ce que les ingénieurs français qui viendront peut-être consolider et réaménager toute la citadelle feront de ces souterrains... Ils sont si sinistres!

Je préfère que vous conserviez ce souvenir du château!

Le château des rois de MajorqueLe château des rois de MajorqueLe château des rois de Majorque

Publié dans Ma région

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Enfant né "de pares incognits"

Publié le par Jaume Ribera

Elles sont hélas assez fréquentes, ces naissances d'enfants abandonnés sitôt leur premier souffle par celle qui les a mis au monde. Laquelle, le plus souvent, avait été auparavant délaissée par celui qui l'avait mise enceinte.

Mon époque est en effet profondément marquée par la morale catholique. Un enfant ne peut et ne doit naître que dans une famille dotée d'un père et d'une mère mariés ensemble, et dès lors fondés à avoir des enfants issus de leur union. Ne soyons pas hypocrites: nous savons tous, surtout dans les petites communautés où les ragots se colportent vite, quand tel ou tel couple n'a en réalité de vie commune qu'en pure façade, et que leurs enfants n'ont pas forcément été conçus par eux. C'est une fausse idée de croire que l'emprise religieuse sur notre société va jusqu'à totalement conditionner tous nos comportements personnels.

Ce qui est vrai en revanche, c'est que mes contemporains sont souvent très durs avec ceux (et surtout celles) qui n'ont pas su préserver les apparences sociales.

Chassée de chez elle, à cause de la honte d'un enfant né hors mariage


Que des hommes et des femmes de mon temps aient des relations intimes en dehors de tout lien matrimonial est assez répandu. Et cela ne gêne personne, dès lors que cela reste discret, et finalement confiné au secret de l'alcôve ... ou d'un bosquet isolé dans les champs.
Mais qu'un enfant issu de ces étreintes s'annonce, et c'est là que les difficultés commencent! Pour la (future) mère, c'est toute sa vie qui risque d'être brisée.

Rares en effet sont les cas où le père de l'enfant à naître "accomplira son devoir", selon l'expression habituelle. C'est-à-dire qu'il l'épousera, avant ou après la naissance, après avoir consigné cela devant notaire, dans un contrat en bonne et due forme.
On imagine, dans ce cas, les longues négociations avec le curé du village qui devra marier un couple qui, très visiblement, n'a pas attendu sa bénédiction pour "consommer l'union"...

Le plus souvent, toutefois, la jeune femme séduite mettra tout en œuvre pour "faire passer" le bébé (sous la pression, d'ailleurs, de son entourage). J'ai été confronté aux drames que cela peut occasionner dans mon enquête sur Les anges de Saint Genis. Et Francisco comme moi avons plusieurs fois eu à constater le décès soudain de jeunes femmes célibataires visiblement exemptes de la moindre maladie... Mais qui portaient en elle le fruit d'une amour imprudente... sur lequel nous ne disons rien, bien sûr, afin de préserver leur souvenir dans leur famille, si par extraordinaire personne n'avait été mis au courant.

D'autres n'auront pas voulu, pas su ou pas pu mettre un terme prématuré à leur grossesse et finissent par accoucher. Durant les derniers mois, dans les campagnes en tous cas, elles se sont cachées (ou l'ont été dans la maison familiale). Pour que leur changement physique reste le plus secret possible.
Pour qu'on ne sache pas.

Toujours préserver les apparences!...

Et un jour, l'enfant naît. À mon époque, il est rare qu'il soit accueilli et accepté chez la mère. Cela arrive, bien sûr, mais si peu!
La plupart du temps, ces enfants sont abandonnés. Sur le parvis de l'église, près de l'autel, dans les niches (on les appelle les tours d'abandon, ou tours d'hospices) aménagées dans la muraille d'une église ou, plus souvent, d'un couvent. Toujours près d'un lieu religieux, sous la protection duquel on place le bébé, enveloppé de quelques langes. Dans un endroit suffisamment discret, en tous cas, pour que l'enfant y soit abandonné sans que cela se sache, mais suffisamment fréquenté pour qu'on le trouve vite.

Un dernier baiser, avant la séparation définitive


Son destin, dès lors, est tout tracé: il sera amené à l'Hospice des enfants trouvés, comme tant d'autres bébés. Il y en a un dans toutes les grandes villes, et les religieux qui les gèrent accueillent plusieurs dizaines d'enfants par mois. Ils enverront le bébé en nourrice dans un village des alentours, et s'il vit (nombreux sont ceux qui meurent durant leurs premières semaines) le bébé sera plus ou moins accueilli dans une famille, qui l'amènera tant bien que mal jusqu'à l'âge adulte.

Quant à la maman, il ne lui reste qu'à vivre avec cette déchirure secrète le restant de sa vie...

Quoi que lui réserve celle-ci...
 

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La fin de la plage de sable

Publié le par Jaume Ribera

Patrick me dit qu'à votre époque, et depuis longtemps, cet endroit s'appelle Le Racou. Et il s'étonne que ce nom n'éveille rien pour moi. Et pourtant!...

Comment lui faire comprendre que le lieu, en mon milieu du XVII° siècle, est totalement désert et inhabité? Je vous l'ai déjà dit: la mer n'est pas une amie, pour nous Argelésiens. Et je fais figure d'original, si ce n'est plus, avec mon habitude des longues promenades sur le sable, là où les vagues viennent mourir doucement.

Entre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabitéEntre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabité

Entre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabité

Alors donner un nom à ces lieux!... Ce n'est même pas la peine d'y songer...

Et pourtant, il me parle cet endroit. Je reconnais même qu'il est assez cher à mon cœur. Souvent en effet, au retour d'une visite dans un des rares mas parsemant cette fin de la côte sablonneuse, je viens passer quelques minutes de rêverie, à regarder les flots mouvants et l'horizon changeant.

Mes moments préférés sont ceux où un temps orageux arrive de la mer, au large, et où je reste assis sur un des rochers s'avançant dans les eaux. Au-dessus de moi, de lourds nuages noirs s’effilochent et se bousculent avec violence sous la force du vent. Ils montent lentement de l’horizon et roulent de plus en plus vite vers le rivage.
Au ras des flots, là où je suis assis, les embruns cinglent et trempent le tissu de mes vêtements. De rares mouettes tentent désespérément de se diriger vers l’abri d’un rocher, ne parvenant qu’à se poser sur l’eau, étonnamment malhabiles.

J'adore ces moments où la mer perd toute cohérence, où l’écume parsème d’innombrables taches blanches l’immensité sombre, et où les vagues ballottent à l’infini ce qui est tombé par hasard dans les flots.
C'est souvent dans ces circonstances que je régénère mon esprit, en offrant mon visage au souffle du vent, peu soucieux de l’eau qui dégouline de mes cheveux jusque dans mon cou. Et peu importe, alors, si Francisco doit me reprocher ensuite ce qu'il appelle mes folles imprudences et si sa fidèle Eulalia se plaint de l'état de mes vêtements trempés.

La mer se déchaîne sur le RacouLa mer se déchaîne sur le RacouLa mer se déchaîne sur le Racou

La mer se déchaîne sur le Racou

D'après ce que me dit Patrick, l'endroit a lui aussi beaucoup changé depuis mon époque. On y a construit; on y habite, parfois à l'année...

Mais ce qui me rassure, même s'il est dommage que certains doivent en souffrir, c'est que la force des orages et de la mer, régulièrement, se rappelle au bon vouloir des hommes.

Difficile, en effet, de domestiquer la nature, en cet envoûtant bout du bout du monde!

Publié dans Ma région

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Ouf!... Quel silence assourdissant!...

Publié le par Patrick Dombrowsky

Et le pire, c'est que c'est (déjà) vrai...

J'ai beau faire ce métier depuis 30 ans, maintenant, je me fais encore surprendre par le "rush" de la rentrée... Et comme, en plus, l'actualité internationale est particulièrement chargée en ce moment, j'ai délaissé la plupart de mes activités annexes...

De son côté, Jaume continue à se débattre avec ses malfaisants, et n'a pas beaucoup de temps pour m'envoyer des textes à publier.

Ceci pour expliquer que depuis 10 jours, vous avez été sevrés de vos messages réguliers, chers lecteurs fidèles. Mais j'ai bon espoir que nous pourrons reprendre nos pérégrinations et nos récits d'ici peu.

Ne nous en veuillez pas trop... Et pour nous faire pardonner, nous vous invitons à rêver devant ces images des contrastes de notre si belle région...

Ouf!... Quel silence assourdissant!...Ouf!... Quel silence assourdissant!...
Ouf!... Quel silence assourdissant!...Ouf!... Quel silence assourdissant!...

Qui saura deviner quels sont ces quatre lieux?

Vous avez sans doute reconnu (dans le sens des aiguilles d'une montre):
   - Les Gorges de la Fou
   - La plage du Racou (qui était sans la moindre construction à l'époque de Jaume)
   - Les aiguilles d'Ille
   - (c'était la question subsidiaire) l'église de Sauto

P.S. Ne sachant pas si over-blog fait suivre ma réponse aux commentaires à tous ceux (toutes celles, en fait) qui ont réagi auparavant, voici ce que j'ai inscrit, à partir du petit débat sur le quatrième cliché:

C'est en effet l'église de Sauto...
Je reconnais qu'en l'occurrence, c'est surtout le paysage enneigé qui m'a intéressé dans ce cliché, pour faire contraste avec les autres photos...
Jaume ne s'est jamais rendu dans ces terres éloignées du haut Conflent. Cela viendra sûrement. Et en souvenir de ce post, je m'arrangerai pour "utiliser" l'église de Sauto dans l'intrigue.
Bravo et merci à toutes pour avoir cogité sur cette modeste énigme.

Publié dans De la part de Patrick

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Un État catalan?

Publié le par Jaume Ribera

Il paraît qu'on en parle beaucoup, en ce moment, à votre époque. Certains voudraient que renaisse un État catalan. J'avoue que cette perspective me laisse songeur; sceptique, même.

Bien sûr, ce serait amusant de voir flotter à nouveau la senyera, notre emblème national, à la tête d'un pays indépendant de tous (pour autant qu'un pays puisse vraiment être totalement indépendant!...).

Mais d'une part, ce nouvel État ne rassemblerait pas tous les Catalans. La partie de Catalogne qui vient d'être annexée resterait française, elle. Et d'autre part, il y a sans doute trop de siècles qui se sont écoulés depuis la dernière existence d'un État catalan!...

Un comté, en fait, comme il y en eut tant en Europe durant les temps carolingiens. Le comté de Barcelone, fondé à la fin du IX° siècle par Guifre el Pelos. Gouverné par ses descendants durant deux siècles et demi, avant que le mariage du comte Ramon Berenger IV avec Patronilla d'Aragon l'englobe dans une entité plus vaste.
 

Peinture tardive (fin du XVI° siècle) de l'union de Ramon Berenger et Patronilla

À partir de ce mariage, en 1137, il n'y a plus eu d'entité politique catalane distincte de l'ensemble espagnol.

Et cela devrait changer à votre époque? Ce serait quelque chose de vraiment étrange, que l'Espagne accepte de se laisser déposséder d'une terre qu'elle domine depuis presque 900 ans (pour vous)!

En attendant que cela se décide (ou pas), et en attendant que je vous en dise plus sur les origines et l'histoire du peuple catalan, laissez-moi vous parler de ce drapeau, que j'évoquais plus haut.

Nous le connaissons tous: D'or aux quatre burelles de gueules, comme disent les héraldistes.

Sa naissance date, dit la légende, de la deuxième moitié du IX° siècle. Le roi Charles le Chauve remercia un jeune seigneur catalan (le futur Guifre el Pelos) de son rôle décisif lors d'une bataille en trempant ses doigts dans la blessure du guerrier. Et en barrant de quatre traînées de sang le bouclier d'or de celui-ci, qui était appuyé sur la couche du blessé.
C'est beau, non?...
Mais hélas, c'est très probablement faux... Outre que le roi Charles n'est vraisemblablement jamais venu dans notre région, l'habitude de se donner des blasons n'apparut que deux siècles plus tard, lors des croisades en Orient...

Reste que même si à mon époque, guerres et annexion oblige, il n'est pas de bon ton de l'arborer trop ostensiblement, ce drapeau fait vibrer le cœur de tout Catalan.

Moi y compris...

Publié dans Ma vie

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El Canigó

Publié le par Jaume Ribera

Le Canigó!...

Mon Canigó à moi. Tel qu'on le voit de la mer, au large d'Argelès

Tout Catalan a forcément ressenti, un jour ou l'autre, un pincement au cœur d'émotion en levant les yeux vers ce massif surplombant toute la plaine du Roussillon. Francisco m'a raconté que lorsqu'il est revenu de ses longues années passées à guerroyer en France (nous n'étions pas encore annexés), il s'est longuement mis à pleurer lorsqu'en traversant les Corbières, il l'a enfin aperçu, après tant d'années d'absence.
Et je le connais assez pour savoir que ce n'est pas du sentimentalisme de sa part.

Pour nous, un géant. Visible d'où qu'on soit dans la plaine; et jamais très loin quand on remonte les vallées sinuant entre les versants de la montagne (celle du Tech, de la Tet, et même de l'Aglí..).

Le Canigó vu de la plaine, du Vallespir, des Corbières, ou du bas-ConflentLe Canigó vu de la plaine, du Vallespir, des Corbières, ou du bas-Conflent
Le Canigó vu de la plaine, du Vallespir, des Corbières, ou du bas-ConflentLe Canigó vu de la plaine, du Vallespir, des Corbières, ou du bas-Conflent

Le Canigó vu de la plaine, du Vallespir, des Corbières, ou du bas-Conflent

La légende veut qu'il ait été vaincu pour la première fois à la fin du XIII° siècle, par le roi Pere III d'Aragon. De toutes façons, si un obscur habitant d'un mas alentour a eu l'envie et la chance de réussir l'ascension auparavant, aucun chroniqueur de l'époque n'en a parlé; alors acceptons la légende, même si les dragons habitant les lacs du massif, dont elle parle aussi, sont décidément peu vraisemblables...

Multiples sont les richesses que nous procure cette montagne protectrice.
Les cultures des premières pentes, si difficiles à mettre en valeur, avec leur terre âpre et prompte à s'effriter à la moindre pluie.
Les herbages de l'estive, plus haut. Où tant de troupeaux sont emmenés à la belle saison, qui ne redescendront que lorsque les frimas approcheront.
Les forêts d'altitude, aux essences si variées et si densément entremêlées que leurs sous-bois sont un enchantement de tous les sens.
Les cimes enfin, aux pics entremêlés dont chacun a sa particularité, couverts d'une neige immaculée dès les premières semaines de l'hiver.
Et à tous les niveaux les minerais les plus divers, péniblement et patiemment arrachés à la montagne depuis des siècles: les Romains, déjà, y exploitaient le fer, l'or, les grenats ...

Mais sa principale richesse, c'est le souvenir qu'il nous laisse; c'est de marquer à jamais tous ceux qui, ne fût-ce qu'une fois, ont vu son versant s'illuminer peu à peu sous les premiers rayons du soleil, ou s'assombrir lentement, tandis qu'au-dessus de lui, s'embrasait le ciel lors d'un coucher de soleil de beau temps.

Un chatoiement permanent, de l'aurore (à g.) jusqu'au couchant (à dr.)Un chatoiement permanent, de l'aurore (à g.) jusqu'au couchant (à dr.)

Un chatoiement permanent, de l'aurore (à g.) jusqu'au couchant (à dr.)

Un spectacle magique, qu'on peut apercevoir jusqu'à l'autre bout de la mer.

Et ça, ce n'est pas une légende!

Vu de Cassis

 

Publié dans Ma région

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La famille catalane

Publié le par Jaume Ribera

Cela peut paraître curieux de parler ainsi de famille catalane. Y aurait-il donc une spécificité, dans notre région, pour l'organisation familiale? Il est évident que oui. Trois caractéristiques méritent qu'on les souligne.

Par rapport à ce qu'on rencontre dans les autres régions, espagnoles comme françaises, le noyau familial catalan est plutôt moins nombreux qu'ailleurs.
Dans la plaine (dont fait partie Argelès) les familles, très souvent, n'ont guère que deux ou trois enfants. Pas en raison d'un moins grand nombre de naissances que dans les montagnes environnantes (où il est fréquent qu'il y ait cinq ou six enfants par famille), mais parce que les décès d'enfants en bas âge y sont plus fréquents.

Trois enfants avec quelques écarts d'âges significatifs; une famille catalane typique de mon époque, dans la plaine

Pour tout un tas de raisons, dont la fréquence des épidémies dans les zones de forts passages humains, la mortalité des enfants est d'autant plus forte qu'on se rapproche de la mer, et qu'on réside dans de grandes cités (à Perpignan, bien sûr, la situation est encore plus dramatique à ce sujet).

Si le noyau familial (le cap de casa, sa femme et leurs enfants vivants) est plus restreint, en revanche, la maison familiale abrite souvent plus de personnes qu'ailleurs. Surtout en milieu rural. On se marie assez tard, dans notre région et à mon époque. Il n'est pas rare qu'un homme ne fonde son foyer qu'à l'approche de ses 30 ans. Et les jeunes femmes encore célibataires vers 25 ans sont nombreuses également. La raison principale, ici, est simple: nous sommes une région qui a été très appauvrie par les décennies de guerre. Et le mariage implique le versement d'une dot, dont le montant est souvent difficile à réunir. Comme par ailleurs, le droit des obligations juridiques du mariage est extrêmement codifié chez nous (j'y reviendrai une autre fois), nombreux sont ceux qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas, convoler aussi tôt qu'ils le désireraient. Ni avec qui ils le désireraient, mais c'est une autre histoire.
C'est pourquoi, sous le toit familial, continuent souvent à vivre aussi des frères, des sœurs, parfois des cousins plus ou moins lointains, durant plusieurs années après que le cap de casa a fondé son propre foyer. Plus, bien sûr, les enfants issus d'une éventuelle union antérieure, car les remariages sont fréquents à mon époque.

Enfin, parce que notre région est depuis des siècles une aire de passage pour de multiples migrations, l'endogamie y est moins forte qu'ailleurs.
C'est variable selon les périodes, bien sûr, mais le début de mon dix-septième siècle a été marqué par de très nombreuses arrivées, en provenance du royaume de France, avant que nous lui soyons rattachés. Les troubles religieux qui ont déchiré ce dernier durant les dernières décennies du XVI° siècle, et la pauvreté dramatique qui a frappé certaines de ses régions (Auvergne, Limousin, Périgord, Béarn, Pyrénées...) ont provoqué de larges mouvements migratoires à destination de la Catalogne.
D'ailleurs, Patrick me dit que des historiens de votre époque estiment qu'au moment où je vis, un habitant sur cinq de la Catalogne est né en France!
La région, en effet, attire. Non seulement parce qu'elle s'enrichit, depuis quelques décennies; mais en plus parce qu'elle est en déficit de population: de nombreuses terres n'attendent que les bras qui vont les mettre en valeur. Les guerres et les épidémies, bien sûr, avaient saigné notre démographie, comme souvent dans d'autres régions. Mais d'autres facteurs, plus particuliers à l'Espagne, ont joué: l'expulsion des Morisques (descendants des musulmans restés en Espagne) à partir de 1609, ainsi que les départs vers les colonies d'Amérique, ont créé de véritables vides dans toute la péninsule, et donc aussi en Catalogne.

Chassés par l'édit de Felipe III en 1609, les Morisques ont tout quitté. D'autres populations arrivèrent bientôt, pour acheter leurs terres abandonnées

Composée par toutes ces strates, la famille est donc un élément complexe.

L'héritage du droit romain en a fait par ailleurs le lieu d'un maillage étroit de relations particulières au sein de la communauté, qui lui donnent un rôle central au sein de la société de mon époque. Je vous en reparlerai bientôt.

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