Els traginers
Pardon à vous tous qui vivez dans mon futur, à une époque où peut-être le catalan n'est plus totalement compris, pour ce titre dans ma langue...
Mais comment pourrais-je dire mieux qu'en catalan ce dont je voudrais vous parler? Patrick me dit qu'en français, on traduit cela par voiturier. Mais il ajoute aussitôt que ce n'est pas un terme très clair, car il a également d'autres sens.
Le traginer, c'est celui qui transporte les marchandises. À pied, la plupart du temps, puisque l'animal qu'il possède (il est rare qu'il en ait plusieurs) est celui qui porte les denrées: chevaux, ânes, mules, bœufs... Les chemins de nos contrées voient ainsi passer toutes sortes d'animaux, plus ou moins chargés (souvent plus que moins, d'ailleurs) de produits extrêmement variés. Autant dire que c'est un métier essentiel pour la vie de tous. Surtout pour ceux qui vivent dans des écarts ou qui sont éloignés des cités, voire des villages.

Les traginers transportent toutes sortes de produits. Des matières premières, bien sûr: sable, graviers, bois... Tout ce qui sera utilisé dans les constructions, et qu'on ne trouve pas toujours, ou pas en quantité suffisante, sur place.
Le fruit des récoltes, aussi. Ce n'est pas toujours sur le lieu de production qu'on les utilise: le raisin pour le vin, les céréales pour les diverses farines, les herbes et les plantes pour les potions et les baumes des apothicaires...
La nourriture, aussi. La plupart des villages, des hameaux, des mas, sont autonomes pour cela; mais il y a des produits (les poissons, par exemple) ou des périodes (une grande fête, ou au contraire une période de disette) où on a besoin de transporter aussi de la nourriture. Pour les traginers, c'est souvent mieux payé, car les délais sont brefs; mais en conséquence, c'est plus fatiguant, car il ne faut pas traîner en chemin...

Mais il y a une chose d'irremplaçable que ce métier permet de transporter et de faire vivre d'un village à l'autre, dans une sorte de flux continu: les nouvelles. Le traginer, en effet, est souvent le seul lien permanent entre des communautés distinctes, et parfois éloignées. À Argelès (et nous ne sommes pourtant pas un village isolé dans la montagne!...), c'est par eux que nous avons appris le siège de Perpignan, en 1641; puis la fin de la guerre, en 1659. Ils en avaient entendu parler lorsqu'ils étaient à la ville, et ont colporté la nouvelle tout leur trajet durant. Il en a été de même, bien sûr, dans toute la région.
Et encore là, je vous parle de nouvelles touchant à l'histoire; mais il en est de même, et de façon bien plus fréquente, pour les nouvelles familiales: le décès d'un aïeul, la naissance d'un enfant, les mariages, les déménagements... Il ne faut pas croire, parce que nous n'avons pas tous les instruments modernes que vous possédez et dont je refuse que Patrick me parle (il n'y tient d'ailleurs pas...), que nous ignorons ce qui se passe chez nos parents éloignés.
Un métier essentiel, donc. Mais tellement difficile!
Les charges, qu'il faut remuer plusieurs fois. Le froid, la pluie, la boue des chemins, les sentiers qui se perdent parfois dans la végétation abondante...
Et les dangers, aussi. De la chute, bien sûr. Mais aussi des voleurs. Ce que le traginer transporte a de la valeur. Parfois beaucoup de valeur. Et il passe souvent dans des sentiers isolés. Forcément, cela suscite des envies. Il n'est pas rare, hélas, qu'un traginer disparaisse on ne sait où, et que plus personne n'entende parler de lui.
Ni de sa cargaison.

Alors une remarque, en passant.
Quand il vous arrivera, un jour, de pester contre une livraison qui a pris du retard... Pensez à ce que cela pouvait être, à l'époque des traginers!