Danger des Barbaresques
Parmi tous les dangers que doivent affronter les populations de mon époque, pirates et corsaires sont à la fois parmi les plus redoutés et parmi ceux qui ont laissé le moins de souvenirs. Loin de moi l'idée de vous infliger de longues digressions sur les différences entre ces deux groupes. Ce n'est pas mon objectif.
Je préfère vous parler globalement de ce qui est à mon époque une véritable hantise: les agressions venues de la mer. Cette grande mer bleue qui nous borde, et que nous sommes si peu nombreux à apprécier dans mes terres catalanes. Pourquoi? Parce que c'est par elle qu'arrivent ces dangereux ennemis.
Qui sont-ils? Pour l'essentiel ils viennent des rivages septentrionaux du continent africain. Maures, Berbères, Arabes, voire l'antique appellation de Sarrasins... on ne sait pas trop quel nom leur donner. Officiellement, ils dépendent tous de l'Empire Ottoman, loin vers l'Est. Trop loin en vérité, puisque la plupart de leurs territoires ont fini par acquérir leur autonomie et ne dépendent plus réellement de Constantinople.
C'est un peu au hasard des rivalités entre chefs que s'organise leur gouvernement. Avec pour points communs au fil des décennies: la fréquence et la violence des changements à la tête de ces structures politiques regroupant des populations souvent nomades: Régence d'Alger, celle de Tunis, celle de Tripoli, République de Salé... Rares sont ceux qui parviennent à se maintenir au pouvoir longtemps, dans ces entités aux frontières extrêmement floues et fluctuantes.
Un autre point commun entre ces groupes est leur propension à écumer la grande mer qui nous sépare. Ils s'appuient sur la possession d'une marine de guerre fortement équipée et puissamment entraînée. Leur technique est toujours la même. Deux ou trois navires d'assez petite taille (la plupart du temps des galiotes) encerclent un des lourds navires des marines plus traditionnelles des pays d'Europe.
La suite dépend de l'évolution du combat et se termine par l'abordage ou l'arraisonnement, puis le sabordage du navire attaqué après qu'il a été vidé des richesses qu'il transportait et qui assurent la fortune de ces embryons d'États. Quant aux équipages, ils sont vendus sur les différents marchés aux esclaves présents jusqu'en Orient. À moins qu'ils aient la chance d'être rachetés par des navires chrétiens (de l'Ordre de Malte notamment) qui se sont entre autres donnés pour mission de sauver ceux qui pouvaient l'être de la servitude en terre musulmane.
Il n'y a toutefois pas que sur mer que les pirates et corsaires barbaresques sévissent. Sur terre aussi. Mon époque connaît fréquemment leurs incursions sur les littoraux, où ils pillent (surtout les richesses des églises et des abbayes), brûlent ou ravagent les cultures et aussi enlèvent. Des femmes surtout, jeunes de préférence, qui sont arrachées à leur famille et à leur village pour être emmenées outre-Méditerranée, au mieux (si j'ose écrire) en servitude, au pire dans des harems où elles sont prostituées.
Notre Roi Louis XIV a décidé avec son Conseil de mettre fin à cette source majeure d'insécurité. Une expédition a été décidée, avec l'essentiel de la flotte royale, pour prendre le contrôle d'une cité de la Côte des Barbaresques, Gigeri (pour vous Jijel). L'opération a réussi... quelques mois. Puis les rivalités entre commandants et le manque de consignes claires ont conduit au désastre. Il a fallu rembarquer en hâte à l'automne 1664, la peste venant de plus s'en mêler.
Mais de cela, je crois, Patrick a l'intention de vous parler dans le prochain récit d'une de mes enquêtes. Alors je n'en dis pas plus.