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Danger des Barbaresques

Publié le par Jaume Ribera

Parmi tous les dangers que doivent affronter les populations de mon époque, pirates et corsaires sont à la fois parmi les plus redoutés et parmi ceux qui ont laissé le moins de souvenirs. Loin de moi l'idée de vous infliger de longues digressions sur les différences entre ces deux groupes. Ce n'est pas mon objectif.

Je préfère vous parler globalement de ce qui est à mon époque une véritable hantise: les agressions venues de la mer. Cette grande mer bleue qui nous borde, et que nous sommes si peu nombreux à apprécier dans mes terres catalanes. Pourquoi? Parce que c'est par elle qu'arrivent ces dangereux ennemis.

Qui sont-ils? Pour l'essentiel ils viennent des rivages septentrionaux du continent africain. Maures, Berbères, Arabes, voire l'antique appellation de Sarrasins... on ne sait pas trop quel nom leur donner. Officiellement, ils dépendent tous de l'Empire Ottoman, loin vers l'Est. Trop loin en vérité, puisque la plupart de leurs territoires ont fini par acquérir leur autonomie et ne dépendent plus réellement de Constantinople.

Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...

Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...

C'est un peu au hasard des rivalités entre chefs que s'organise leur gouvernement. Avec pour points communs au fil des décennies: la fréquence et la violence des changements à la tête de ces structures politiques regroupant des populations souvent nomades: Régence d'Alger, celle de Tunis, celle de Tripoli, République de Salé... Rares sont ceux qui parviennent à se maintenir au pouvoir longtemps, dans ces entités aux frontières extrêmement floues et fluctuantes.

Un autre point commun entre ces groupes est leur propension à écumer la grande mer qui nous sépare. Ils s'appuient sur la possession d'une marine de guerre fortement équipée et puissamment entraînée. Leur technique est toujours la même. Deux ou trois navires d'assez petite taille (la plupart du temps des galiotes) encerclent un des lourds navires des marines plus traditionnelles des pays d'Europe.

Attaque d'un navire marchand par deux galiotes barbaresques

Attaque d'un navire marchand par deux galiotes barbaresques

La suite dépend de l'évolution du combat et se termine par l'abordage ou l'arraisonnement, puis le sabordage du navire attaqué après qu'il a été vidé des richesses qu'il transportait et qui assurent la fortune de ces embryons d'États. Quant aux équipages, ils sont vendus sur les différents marchés aux esclaves présents jusqu'en Orient. À moins qu'ils aient la chance d'être rachetés par des navires chrétiens (de l'Ordre de Malte notamment) qui se sont entre autres donnés pour mission de sauver ceux qui pouvaient l'être de la servitude en terre musulmane.

Il n'y a toutefois pas que sur mer que les pirates et corsaires barbaresques sévissent. Sur terre aussi. Mon époque connaît fréquemment leurs incursions sur les littoraux, où ils pillent (surtout les richesses des églises et des abbayes), brûlent ou ravagent les cultures et aussi enlèvent. Des femmes surtout, jeunes de préférence, qui sont arrachées à leur famille et à leur village pour être emmenées outre-Méditerranée, au mieux (si j'ose écrire) en servitude, au pire dans des harems où elles sont prostituées.

Notre Roi Louis XIV a décidé avec son Conseil de mettre fin à cette source majeure d'insécurité. Une expédition a été décidée, avec l'essentiel de la flotte royale, pour prendre le contrôle d'une cité de la Côte des Barbaresques, Gigeri (pour vous Jijel). L'opération a réussi... quelques mois. Puis les rivalités entre commandants et le manque de consignes claires ont conduit au désastre. Il a fallu rembarquer en hâte à l'automne 1664, la peste venant de plus s'en mêler.

Mais de cela, je crois, Patrick a l'intention de vous parler dans le prochain récit d'une de mes enquêtes. Alors je n'en dis pas plus.

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Le seigneur du village

Publié le par Jaume Ribera

Mon passage à Serralongue n'avait en principe pour seule raison que d'assister à un mariage. Mais bien évidemment (comme le répète ma chère et tendre Sylvia!) la mort s'est invitée durant mon séjour. Je ne vous en dis pas plus, car sinon j'aurai des soucis avec mon descendant et co-bloggueur Patrick.

En revanche il est d'accord pour que je vous parle de ma découverte d'un aspect essentiel de la vie de nos villages: le rôle du seigneur local. Pour les villages qui en disposent en tous cas. Comme vous le savez, Argelès n'en a pas. Ce fut donc une totale découverte pour moi. Et c'en sera une pour vous, car d'après ce que me dit Patrick, ce qu'en expliquent les documents qui en parlent à votre époque ne correspond qu'imparfaitement à ce que j'ai vu fonctionner dans ce petit village du haut Vallespir.

La raison de ce décalage entre ma réalité et les explications de vos contemporains est simple: il vient de la considérable capacité d'adaptation de nos pratiques sociales, qui sont loin d'être aussi figées que beaucoup voudraient le faire croire.

Caricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgenceCaricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgence

Caricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgence

Les images ci-dessus ne correspondent que très partiellement (et assez faussement) à la réalité de la société qui m'est contemporaine. Bien sûr, on pourra toujours trouver des nobles et/ou des religieux croulant sous les richesses et dont le désir le plus pressant est d'écraser le simple paysan vivant dans la misère. Même dans le Roussillon et les anciens comtés montagnards de mon siècle. Mais il ne faut jamais oublier que les turpitudes de quelques-uns ne constituent pas la réalité de toute une société. Pas plus à mon époque qu'à la vôtre.

Mon XVII° siècle est inégalitaire, c'est un fait. Comme le vôtre, d'ailleurs, même si ce n'est pas une inégalité identique. Mais ce que nous savons, de mon temps, c'est que la rareté des ressources et la difficulté pour les exploiter obligent à la solidarité de tous pour que le tissu social fonctionne. Chacun a une place et un rôle qui lui sont fixés par son métier, son statut social, son insertion au sein de la cité, le prestige local de sa famille. Et durant mon siècle, surtout dans le contexte d'une société qui se reconstitue peu à peu après le traumatisme des années de guerres et du changement de royaume, le seigneur local est un personnage central de la communauté. Pas parce qu'il serait le plus riche (il est fréquent que certains pagesos le soient plus que lui), mais parce qu'il a un rôle essentiel d'autorité: il est là pour faire respecter la règle sociale. Pour que chacun, si vous me permettez cette expression un peu vigoureuse, reste à cette place qui lui est déterminée.

Cela entraîne des relations interpersonnelles qui, je l'avoue, m'ont beaucoup surpris. Elles reposent sur la confiance mutuelle entre le seigneur et les habitants de son fief. Ils se connaissent depuis le berceau, ils se voient régulièrement, ils partagent parfois les mêmes tâches agricoles, ils ont les mêmes angoisses quant au mauvais temps et aux récoltes menacées, ils se retrouvent immanquablement pour les cérémonies familiales (baptêmes, mariages, obsèques, fêtes religieuses), ils s'épaulent et se réconfortent en cas de coups durs de la vie, ils se conseillent...

Si j'ose dire, c'est cela le travail du seigneur local! Et après tout il n'a aucun intérêt à laisser se distendre le lien de solidarité entre les membres de sa communauté villageoise. Car le seigneur d'un fief sans solidarité est un seigneur fragile... et donc vulnérable.

Cela n'empêche bien sûr pas que certains (seigneurs ou habitants) s'affranchissent de cet impératif de solidarité en trichant, volant, voire tuant... Et c'est là qu'intervient la justice seigneuriale. C'était d'elle que je pensais vous parler aujourd'hui. Mais ce billet est déjà trop long. Ce sera donc pour une prochaine fois! 😉

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