En catalan ou en français?
Je voudrais vous dire quelques mots sur un sujet qui agace toujours un peu Jaume, mais qui n'est pas anodin pour l'écriture de mes romans: la place de la langue catalane.
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Le français a mis presque un siècle à s'implanter complètement dans les documents officiels et les usages de la partie de Catalogne annexée par le Traité des Pyrénées. C'est uniquement au cours des années 1740 que les registres paroissiaux devinrent presque exclusivement en français. Un peu plus tôt, mais pas beaucoup plus, pour les actes notariés...
Donc, la conformité linguistique voudrait que le catalan soit la langue usuelle dans les enquêtes de Jaume Ribera. On comprend aisément qu'il m'était impossible de rédiger ces romans en usant du français pour le texte narratif, et du catalan pour les dialogues. Sans compter qu'un problème de compréhension mutuelle aurait surgi pour les conversations entre personnages catalans et français...
Alors bien sûr, on pourra rétorquer que c'est un faux problème, puisque n'importe quel auteur de romans les écrit dans sa langue maternelle. Que Marc Paillet n'a pas écrit les aventures d'Erwin le Saxon et de son ami Childebrand (missi dominici de Charlemagne) en francique. Et que frère Cadfael, le remarquable personnage inventé par Ellis Peters, ne s'exprime pas en gallois ancien, mais bien en anglais contemporain.
On rétorquera aussi que la région annexée en 1659 était occupée de facto par les troupes françaises depuis 1643, et qu'il n'est pas illégitime de penser que le français y était quand même compris. En tous cas par ceux qui occupaient des fonctions les mettant en contact avec les nouveaux maîtres...
Mais si la langue de mon écriture ne pouvait être que le français, il y a deux sujets qu'il m'a fallu trancher: les noms et les lieux.
C'est sans souci, et pour ainsi dire naturellement, que les noms des personnages catalans sont tous en catalan, dans les romans, et ceci dès le premier d'entre eux. Il m'aurait paru totalement incongru d'écrire les aventures, en 1659, de Jacques Ribère...
En revanche, j'ai mis du temps à me fixer une ligne de conduite pour les noms de lieux. Le risque était réel de dérouter (agacer?) certains lecteurs en parlant d'Argelers, de Perpinyá, de Cotlliure... Mais il était tout aussi absurde de parler du dolmen de la cache de l'Arabe (Cova de l'Alarb, dans Le fanal de Madeloc), du hameau de Ville claire (Vilaclara, dans Les anges de Saint Genis), ou de la gorge de Labau (Gorg de Labau, dans Le novice de Serrabona).
J'ai donc décidé d'écrire en français tous les noms des lieux qui sont devenus des communes existant encore aujourd'hui. Ainsi que les endroits les plus connus de la région (le Canigou, la Méditerranée...)
En revanche, je laisse en catalan les hameaux, les lieux-dits, les abbayes, les noms des rues de l'époque, les rivières, les mas... Ainsi que certaines expressions typiques de la région, que j'explicite dans un court lexique à la fin de l'ouvrage.
Après tout, ces romans visent aussi à faire revivre une région dans son époque de la deuxième moitié du XVII° siècle. Et cette période est indissociable de la langue catalane.