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Les Aspres

Publié le par Jaume Ribera

Puisque le petit jeu que vous avait proposé Patrick, l'autre jour, m'a donné l'occasion de vous présenter brièvement l'une des régions de notre Catalogne désormais française, je vais continuer en vous parlant d'une autre, que j'ai découverte récemment.

Lorsque Francisco, Sylvia et moi avons quitté Argelès, il y a quelques mois, pour partir à la découverte des bibliothèques et des richesses culturelles entreposées dans les abbayes disséminées ici ou là, nous avions prévu de traverser rapidement les Aspres. Les circonstances en ont décidé autrement, puisque l'assassinat d'un jeune novice, à Serrabona, nous a retenus plus longtemps que prévu dans cette région.
Patrick vous a raconté cette longue et difficile enquête (Le novice de Serrabona).

Les Aspres sont le vaste espace qui, entre la vallée de la Têt et les contreforts du Vallespir, lequel prolonge en plus accidenté et en plus élevé "mes" Albères, fait suite à la plaine du Roussillon quand on se dirige vers l'Ouest; en s'éloignant de la mer, donc...

De Thuir à Prunet et de Llauro à Camélas... Un espace fait de contrastes étonnants, sous une monotone uniformité de façade

Une région apparemment sans histoire; je veux dire dont il est difficile de retrouver des moments clés marquants, dans son passé. Et pourtant, les résidences de la plupart des anciennes familles ou des lieux de pouvoir religieux qui, aux temps féodaux des XII° et XIII° siècles, ont structuré notre région, se situent là: Castelnou, Sainte Colombe, Oms... Nous ne sommes pas passés par ces endroits précis, lors de notre périple avorté; mais nous avons traversé tout l'espace des Aspres. Sur la carte (qui m'est contemporaine) que Patrick a affichée ci-dessus, vous pouvez nous suivre sans difficultés: Tordères, Montauriol (le spectaculaire mas de Pere Manent est même mentionné!), Prunet et enfin Serrabona, à la lisière du Conflent.

J'en ai gardé le souvenir de paysages assez arides, avec quelques forêts épaisses dès que l'altitude monte un peu, mais surtout de maigres bosquets et beaucoup de broussailles. Et soudain, quand on s'approche des villages, apparaissent les espaces cultivés. Avec soin, et le souci constant de dominer les caprices de la terre. La mise en valeur de celle-ci est en effet la principale richesse de cette région. Peu d'eau, pas de mines, peu de passage et de rares voies d'échanges... La région m'a donné l'impression d'un grand isolement!

Que ce soit du côté de Tordères, Camélas ou Montauriol, toujours la même impression d'espace sauvage...Que ce soit du côté de Tordères, Camélas ou Montauriol, toujours la même impression d'espace sauvage...Que ce soit du côté de Tordères, Camélas ou Montauriol, toujours la même impression d'espace sauvage...

Que ce soit du côté de Tordères, Camélas ou Montauriol, toujours la même impression d'espace sauvage...

Cela dit, elle ne se cache pas derrière des faux-semblants! Son nom lui-même annonce la principale impression qu'elle laisse.
Aspres, en effet, vient du latin asper. Qui signifie ... âpre! On ne saurait mieux dire.

Je songeais souvent, en la traversant, aux premiers humains qui s'y sont arrêtés, qui ont commencé à y vivre. C'était au cours du neuvième siècle. Les armées carolingiennes de Charlemagne avaient traversé, sur leur chemin vers l'Espagne, une région quasiment déserte. Les invasions, les menaces de la nature, les épidémies, tout cela avait rassemblé dans les vallées profondes creusées par les rivières descendant de la montagne, les maigres populations n'ayant pas fui vers l'Occitanie les envahisseurs sarrasins, quelques décennies plus tôt. Or comme je vous l'ai dit: il n'y a pas de rivières dans cette région; donc pas d'habitat regroupé.

C'est ainsi dans les Aspres, essentiellement, que les nouveaux maîtres de la province (les Francs carolingiens) développèrent en abondance le système des aprisions.
Ces terres données en pleine propriété à quiconque acceptait de s'y installer et de les cultiver. Nobles, religieux, roturiers libres... Peu importait qui en bénéficiait, pourvu que leur installation fît revivre l'espace. Un système extrêmement efficace pour repeupler ces régions abandonnées, dont il faudra que je vous reparle (le temps de me documenter sérieusement auprès de Francisco)... Il est à la base de la renaissance de toute notre région.

Une charte de donation de terres en faveur d'une abbaye (ailleurs que dans les Aspres, et à la fin du XI° siècle)

C'est en raison de ce peuplement progressif et éclaté que les Aspres, plus que les autres aires géographiques de notre Catalogne du nord des Pyrénées, se caractérisent par la très grande dispersion de petits villages: le relief difficile, et l'individualisme des premiers noyaux de peuplement, ont considérablement morcelé l'implantation humaine initiale.

Et cela dure toujours à mon époque!...

À la vôtre aussi?...

Publié dans Ma région

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Enfin la cérémonie de mariage!...

Publié le par Jaume Ribera

Eh bien nous y voilà enfin!...

Après toutes les étapes préalables que je vous ai décrites dans des textes antérieurs, arrive le jour des noces. Les familles sont tombées d'accord sur toutes les modalités financières, et cela a été couché sur papier timbré par le notaire. Ce dernier en a délivré un bel acte que (presque) personne ne sait lire, mais qui ira dans le coffre jalousement fermé où sont rassemblés de nombreux parchemins semblables. Une institution précieuse, ce coffre... Mémoire de la famille, de ses moments importants, de ses droits et obligations... Une véritable mine d'informations, en tous cas. Toutes les familles en ont un; surtout si elles ont quelques biens.

Le livre de raison rassemble tous les moments importants de la famille; il est (aussi) une sorte d'index des actes notariés dont elle dispose

Il ne faut pas croire, toutefois, que ce jour tant attendu est délivré de toutes contraintes. Ni de tout cérémonial, même si beaucoup de mariages ressemblent en réalité surtout à de simples fêtes entre amis.

Le jour de la noce, notamment, est choisi avec attention.
Il y a les interdits religieux, dont il faut s'accommoder.
Par exemple, on ne se marie pas durant la période du Carême; c'est-à-dire pendant les quarante jours précédant la fête de Pâques. Cette période, liturgiquement, est consacrée au recueillement; à la préparation de la Passion et de la Résurrection du Christ. Le jeûne en est une des composantes majeures. Ces semaines ne peuvent pas donner lieu à des festivités et à des réjouissances éloignées de la vie spirituelle.
De même, certains curés veillent à ce que soit respecté le mois de Mai, qui est traditionnellement consacré à la Vierge Marie. Mais d'autres sont sur ce point moins stricts.

Il y a aussi les périodes où ... comment dire... ce n'est vraiment pas commode, car on a autre chose à faire!...
Nous sommes, je vous l'ai souvent dit, une société profondément rurale. La vie des champs a son rythme, qui implique de longues périodes relativement calmes, mais aussi des moments d'intense activité. La saison des moissons, celle des récoltes (notamment, chez nous, les vendanges), celle où on rentre les bêtes et où on se prépare à l'hivernage... Durant ces semaines, il n'est certes pas interdit de se marier; mais est-il opportun de passer une journée en festivités, alors qu'il y aurait tant à faire dans les champs ou alentour?

Et puis il y a les moments qui sont dictés par les impératifs familiaux... Une sœur enceinte qui doit accoucher de façon imminente; un vieil oncle malade; un cousin dont on ne veut pas qu'il soit absent, pour tout un tas de raisons, mais qui habite loin ou se déplace souvent...

C'est pour pallier à toutes ces contraintes de temps que dans certaines régions, m'a raconté Francisco qui en a été très surpris lors de ses voyages de jeunesse, les curés marient plusieurs couples de leurs paroissiens le même jour, une ou deux fois l'an. Par fournées, en quelque sorte.

Mariages collectifs en Bretagne. Une pratique heureusement rare dans nos contrées

Le lieu de la cérémonie, lui, est moins sujet aux hasards des uns et des autres.
Dans la quasi totalité des cas, le mariage se déroule dans la paroisse de la mariée. Si les deux fiancés sont de la même paroisse, c'est simple; mais s'ils sont originaires de deux lieux différents, il faut s'organiser pour loger tout le monde... Ce n'est pas forcément possible tout le temps, et de cela aussi il faut tenir compte.
J'ai eu un jour l'occasion d'apercevoir, au cours d'une de mes tournées dans la montagne, tout un hameau (ou presque) se rendant à une noce, le futur marié ouvrant la marche d'un pas décidé... C'était un cortège à la fois joyeux et un peu solennel.

Le jour venu, le mariage comprend deux temps, bien distincts.

Le premier est inévitable: c'est la cérémonie religieuse. Assez souvent une simple messe, celle du dimanche, au cours de laquelle le curé associe les futurs mariés aux prières de la communauté, et à l'occasion de laquelle il leur fait échanger les anneaux scellant leur union. Dans les milieux aisés, notamment dans les villes, les familles peuvent faire dire une messe spéciale à cette occasion. Mais dans les paroisses rurales, c'est plus rare.

Le deuxième temps est celui des réjouissances entre familles.

Quelques convives seulement, ou plusieurs centaines... Le banquet est un moment fort de la cérémonie des noces
Quelques convives seulement, ou plusieurs centaines... Le banquet est un moment fort de la cérémonie des noces

Quelques convives seulement, ou plusieurs centaines... Le banquet est un moment fort de la cérémonie des noces

Le mariage est une fête; elle doit être célébrée. Un repas, des jeux, des danses, des conciliabules et autres discussions... Comme je vous l'ai déjà dit, l'union se passe entre noyaux familiaux qui, la plupart du temps, se connaissent de longue date. Dans les petits villages, c'est toute la communauté qui est présente. Ce jour particulier est l'occasion d'un moment de détente, d'amitié, peut-être déjà d'approches pour de futures autres unions: il n'est pas rare que des mariages se produisent ensuite, unissant des frères et sœurs du couple initial, ou des cousins... dont les premières modalités auront été discutées lors des noces des aînés.

Tout cela peut durer fort longtemps; même dans les milieux les plus modestes, où on a eu à cœur de réaliser, malgré les difficultés financières, ce qui restera dans les mémoires comme une belle fête...

Reste ensuite aux deux nouveaux époux à débuter leur vie commune; si par extraordinaire ils ne l'avaient pas entamée bien avant!...

Une vie matrimoniale dont je vous parlerai aussi...
En vous demandant, surtout, de ne pas le dire au curé: il est assez sévère sur le sujet!...

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Le Fenouillèdes

Publié le par Jaume Ribera

Vous devez être surpris de me voir aborder un sujet géographiquement aussi éloigné d'Argelès.
D'autant que, vous le savez, le Fenouillèdes est une région dans laquelle je ne suis jamais allé.

Mais c'est Patrick qui a insisté!...

Pourquoi, déjà? Ah oui! Pour vous donner la réponse à la petite énigme qu'il vous a proposée l'autre soir.
Les quatre villages, quelques un(e)s d'entre vous les ont identifiés. Bravo, car moi-même je n'aurais pas su, puisque là non plus, je n'y suis jamais allé.
De gauche à droite et de haut en bas, il y avait donc Calmeilles, Mantet, Saint Paul de Fenouillet et Montner.

Mais Patrick vous avait posé une question supplémentaire: parmi ces quatre-là, s'est caché un intrus. Lequel?
Maintenant que vous avez vu le titre du billet d'aujourd'hui vous avez, je suppose, deviné; c'est Saint Paul de Fenouillet.
Pourquoi? Parce que ce village est le seul parmi les quatre qui n'a pas été transmis au Royaume de France lors du traité des Pyrénées, l'année dernière. En effet, tout le Fenouillèdes (et donc Saint Paul, qui en est en quelque sorte la capitale) appartenait déjà à la France avant 1659.

De Caudiès à Latour de France, et de Sournia à Maury et Prugnanes... Des terres devenues françaises bien avant nous

Cela n'a pas toujours été le cas. Avant le treizième siècle, notre Catalogne, au nord comme au sud des Pyrénées était terre espagnole. Ou plus précisément les seigneurs qui y étaient présents étaient vassaux du roi d'Aragon, le célèbre Jaume I le Conquérant. Entre lui et le roi de France Louis IX, s'est installée une ancienne et forte rivalité. La frontière entre les deux royaumes était incertaine, en raison des fidélités changeantes de tel ou tel seigneur, et en raison aussi des revendications de Jaume et Louis.

Finalement, c'est par un traité, signé en 1258 à Corbeil, que les deux rois définirent ce que seraient leurs zones de domination. Et c'est à ce moment-là qu'en échange de sa renonciation à toutes ses prétentions sur le comté de Barcelone, Louis IX obtint entre autres le Fenouillèdes.
 

Quelques-unes des bornes frontières qui avaient été érigées suite au Traité de Corbeil, devenues caduques depuis celui des PyrénéesQuelques-unes des bornes frontières qui avaient été érigées suite au Traité de Corbeil, devenues caduques depuis celui des PyrénéesQuelques-unes des bornes frontières qui avaient été érigées suite au Traité de Corbeil, devenues caduques depuis celui des Pyrénées

Quelques-unes des bornes frontières qui avaient été érigées suite au Traité de Corbeil, devenues caduques depuis celui des Pyrénées

Et c'est pour cela qu'en 1659, ces territoires voisins de nos paroisses restées catalanes appartenaient déjà à la France, et n'eurent donc pas à changer de nationalité.

C'est cette particularité que Patrick glissa dans les quatre photos qu'il vous a soumises...

J'y ai pour ma part gagné l'envie de vous parler, aussi, de lieux plus éloignés d'Argelès que je l'ai fait jusqu'à présent.
J'espère que vous y prendrez autant de plaisir...

Publié dans Ma région

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Les verriers de Palau

Publié le par Jaume Ribera

C'était un artisanat florissant, autrefois.
À moins de trois lieues d'Argelès, la petite paroisse de Palau fut durant plusieurs siècles un lieu réputé pour la production de ses ateliers de verre. Une production peu banale dans nos contrées, qui travaillent plutôt le textile ou le cuir...
Au fil du temps, on a trouvé autour de Palau des éclats ou des morceaux provenant de pièces de verreries fort anciennes, montrant que l'endroit en produit depuis longtemps.
 

Deux éclats et une fiole, trouvés dans le bois de VillaclaraDeux éclats et une fiole, trouvés dans le bois de VillaclaraDeux éclats et une fiole, trouvés dans le bois de Villaclara

Deux éclats et une fiole, trouvés dans le bois de Villaclara

Toutefois, les premiers vrais ateliers de Palau sont apparus au début du XIV° siècle. En effet, dès le dernier quart de ce siècle, plusieurs documents montrent qu'une famille de maîtres verriers, les Xatart, est suffisamment connue, et suffisamment riche, pour honorer d'importantes commandes avec des clients de Perpignan. Preuve que leurs réalisations étaient alors renommées dans la région, et existaient depuis un certain temps.
Il est probable que cet artisanat a été favorisé par le Royaume de Majorque, dont Perpignan était la capitale, et dont je vous ai déjà raconté combien les habitations pouvaient être luxuriantes, à l'image du Palais du roi lui-même.
 

Dans les actes notariés, les fours à verre sont mentionnés pour indiquer la position d'un terrain

Mais pourquoi à Palau??? Parce que la fabrication du verre a besoin de deux matières premières: le sable, et le bois. Or tout près de Palau, le sable est charrié en abondance par le cours du Tech, qui est parfois suffisamment tumultueux pour en détacher d'importantes quantités du fond de la rivière; et on a longtemps trouvé beaucoup de bois dans l'antique forêt de Berchale, à peine plus loin, dont je vous parlais l'autre jour. Il est d'ailleurs probable que la fabrication du verre est avec l'augmentation des champs une des causes qui ont commencé à détruire cette forêt.

Durant un peu plus de deux siècles, les verriers de Palau ont assuré à la paroisse une réelle richesse. Laquelle, à son tour, a rejailli sur les cités voisines. C'est ainsi que l'importante foire des saints Cosme et Damien, qu'Argelès organise depuis fort longtemps à la fin du mois de septembre, offre plusieurs échoppes proposant toutes sortes de verreries, utilitaires ou décoratives.

Et puis soudain, au cours du siècle dernier (le seizième, donc, je précise pour vous, qui vivez bien plus tard), tout s'est arrêté. Presque brutalement. On ne trouve plus trace de ces maîtres verriers qui avaient occupé durant des décennies les principales fonctions de notables dans la paroisse (batlles, consuls...). Les épidémies de la fin du siècle précédent, sans doute; la raréfaction de la matière première, aussi; également la concurrence des verres provenant d'ailleurs, notamment d'Italie, qui surpassèrent vite les nôtres par leur qualité.

En tous cas, lorsque je suis allé plusieurs fois à Palau, lors de l'enquête sur les anges de Saint Genis, il n'y avait plus le moindre souvenir de ce luxueux artisanat.
Sauf le nom de la paroisse elle-même. Vers le milieu du quinzième siècle en effet, Palau est devenue Palau del Vidre, vidre signifiant verre en catalan.
Et sauf quelques souvenirs artistiques. De nos jours, il existe au moins deux témoignages de cette période faste. Ils ont été peints dans deux magnifiques retables, qui ornent l'église paroissiale de Palau. Tous deux ont été commandés par des maîtres verriers de l'époque (à la moitié du quinzième siècle). Et tous deux font référence, même indirectement, à ce rôle majeur du verre dans la culture de la paroisse.

La frise inférieure du retable de Saint Michel Archange montre une pince de verrier dans les mains de Sainte Apolline, à gauche; et à droite: saint Raphaël et sainte Claire, protecteurs contre les maladies des yeux, dont souffraient principalement les verriers en raison des oxydes qu'ils manipulaient

Et plus discrètement, dans le coin inférieur de gauche du retable de Saint Jean, quelques détails nous donnent une idée des réalisations fabriquées dans les ateliers palauencs.
 

Quelques fioles, qu'on imagine contenir des onguents et des lotionsQuelques fioles, qu'on imagine contenir des onguents et des lotions

Quelques fioles, qu'on imagine contenir des onguents et des lotions

Patrick me dit qu'à votre époque, à Palau, ce passé verrier est ranimé par des artisans venus s'installer sur place.

C'est heureux, que la mémoire de ce passé puisse revivre...

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Un nouveau silence...

Publié le par Patrick Dombrowsky

Non, rassurez-vous, ni Jaume, ni moi ne vous avons oubliés...

D'ailleurs, je suis sûr qu'au fond de vous-mêmes, vous le savez et n'êtes pas vraiment inquiets. Frustrés de ne pas nous lire plus souvent, peut-être, mais sans doute pas inquiets.

Toutefois les aléas de la vie quotidienne, parfois plus prenante qu'on le voudrait; toutes les informations que Jaume m'envoie sur la nouvelle enquête qu'il vient de mener, afin que j'en prépare le récit; les recherches qu'il faut accumuler autour de cette enquête pour bien vous en resituer les péripéties (dans quel pétrin s'était-il encore fourré!...)...
Tout cela est très vorace en temps.

Il y a donc des moments, hélas plus fréquents et plus longs que je le voudrais, où ce blog reste silencieux.

Mais c'est pour mieux pouvoir repartir!...

Et pour me faire pardonner, je vous propose un nouveau petit quiz!...
Un peu sur le même principe que le précédent: quatre clichés, quatre villages; je ne donne pas leur nom: il faudra les reconnaître...
Il y a un intrus...

Lequel, et pourquoi?

Un nouveau silence...Un nouveau silence...
Un nouveau silence...Un nouveau silence...

Bonne cogitation! La réponse dans quelques jours...

Un indice?
Jusqu'à présent, Jaume ne s'est rendu dans aucun de ces villages.

Publié dans De la part de Patrick

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Bois et forêts ... disparus

Publié le par Jaume Ribera

Je sais que pour vous, la plaine du Roussillon n'est qu'une vaste étendue dépourvue de végétation.
Je m'explique: bien sûr, il y a les cultures, les vignes, les champs. Il y a aussi (surtout, me dit Patrick) les multiples arbres, buissons, taillis, qui ont été plantés autour des innombrables maisons que votre période moderne a construites un peu partout.

Mais des bosquets, des bois, et encore moins des forêts, il n'y en a plus... Ou quasiment plus. Alors qu'ils sont encore si nombreux, à mon époque.

Entre Argelès et le Réart, les champs et les cultures ont remplacé les étendues boisées

Sur les pentes des Albères, il en va autrement. Je dirais même que c'est le mouvement inverse qui s'est produit: à mon époque, il y a de nombreuses cultures, champs, zones défrichées sur les versants de la montagne. Et au fil des décennies, notamment à votre époque, ces zones ont peu à peu disparu, et la nature a repris ses droits.

C'est pourquoi je voudrais aujourd'hui vous parler des bois et forêts qui occupent une partie de notre environnement.
La présence boisée, y compris dans la plaine du Roussillon, a longtemps été très importante.

La forêt de la Massane, au-dessus d'Argelès, est certes d'altitude moyenne, mais est révélatrice de ce que fut jadis la forêt méditerranéenne du Roussillon

C'est vers le onzième et le douzième siècles que les villages ont commencé à défricher, déboiser les espaces qui les entouraient, afin de pouvoir y étendre champs et cultures. Mais beaucoup d'étendues boisées ont subsisté dans notre région, dont certaines se rétrécissent petit à petit.

Au moment où je vous parle, et si je me limite à l'espace qui est le plus proche d'Argelès (disons entre Argelès et Perpignan), il y a trois grandes zones de bois qui subsistent (et dont Patrick me dit qu'elles ont disparu depuis longtemps, à votre époque).

Le cours du Tech, tout d'abord. En raison de la présence d'eau, les rivages de la rivière sont plantés d'arbres sur une distance parfois assez large. Tout le long du Tech, il y a ainsi une bande arborée de saules, d'ajoncs, de roseaux, qui sont parfois tellement imbriqués que le passage n'est guère aisé. Et comme bien sûr, sauf par quelques barques, la rivière n'est pas navigable, il n'y a pas de chemin de halage...

Au sud de la rivière, une série de bois se succèdent au fur et à mesure que l'on avance à l'intérieur des terres. Les deux Tatzo (d'Avall et d'Amunt) sont ainsi totalement enserrés dans des bois de chênes, de hêtres, mêlés de buissons d'épineux divers. Il en est de même pour Vilaclara, dont je vous ai déjà parlé et où je me suis rendu plusieurs fois lors de l'enquête sur les anges de Saint Genis. Puis autour de ce dernier village, le bois de Vernede s'étend jusqu'aux premières pentes des Albères... Même son nom a fini par disparaître, à votre époque.

Enfin, au nord du Tech, une bande plus ou moins boisée longe la côte, la séparant des paroisses alentours: Latour, Saint Cyprien, Alenya... C'est un peu le même type de végétation sauvage que nous rencontrons entre Argelès et la mer. Avec moins de marécages, toutefois.

Surtout, dans ce même espace, existait jusqu'à il y a peu les derniers vestiges d'une forêt millénaire: le Bercol. Aux temps romains, elle s'appelait Berchale, et couvrait tout l'espace qui s'étend entre Elne, Villeneuve, Bages et Ortaffa. En fait, tout ce qui sépare les cours du Tech et du Réart.
Je n'en ai connu, durant mes jeunes années, que les quelques derniers arpents, près de Corneilla.

Les derniers vestiges de la forêt millénaire de Berchale

On finit de les arracher, pour étendre encore les espaces cultivés. La richesse agricole de la région y gagnera (peut-être) ce que le pittoresque de ces forêts y a perdu. Je n'y allais pas très souvent, car comme je vous l'ai déjà dit traverser le Tech est comme entrer dans un autre monde, pour nous Argelésiens. Mais je me souviens que cette forêt très ancienne offrait une grande variété d'essences, dont certains arbres (il y avait beaucoup de chênes) étaient particulièrement majestueux.

Cette forêt aujourd'hui entièrement détruite nous a laissé toutefois un témoignage de sa présence, qui durera durant les siècles à venir. Le petit village de Corneilla, en son centre, étape sur la route qui vient de Perpignan et se dirige vers l'Espagne, lui a emprunté son nom.

C'est votre Corneilla del Vercol...

Publié dans Ma région

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Le contrat de mariage

Publié le par Jaume Ribera

Lorsque les deux familles sont enfin d'accord en vue des épousailles de deux de leurs enfants; lorsque les présentations ont été faites de part de d'autre, ou du moins ce qui va les symboliser, car il n'y a pas vraiment besoin de présentations entre gens qui se connaissent depuis toujours au sein de la même communauté; lorsque les fiançailles ont été accomplies au su de tous...
Il convient alors de formaliser tout cela de façon solennelle, c'est-à-dire juridique. Je vous ai déjà parlé du rôle essentiel du notaire dans notre société du dix-septième siècle. Lors des mariages, ce rôle est encore plus central: il va rédiger le contrat scellant l'union, ces fameuses capitols matrimonials garnissant par centaines les rayonnages de toutes les officines de notaires qui pullulent dans notre région.

La signature d'un contrat de mariage dans la haute société. Pour nous, il y a moins d'ors, de soies et de tentures, mais le principe est le même: un acte solennel devant une assemblée choisie

Quel notaire? En général (mais les exceptions ne sont pas rares, il faut le reconnaître) celui de la famille du marié. Comme la cérémonie se déroulera, c'est là un fait quasi constant, dans la paroisse de la future épouse, le notaire choisi sera celui de l'autre partie contractante. Afin, bien sûr, de ne pas déséquilibrer ce qui est fondamentalement un échange entre deux noyaux familiaux. Sauf, il faut le signaler, lorsque le mariage projeté va unir un jeune homme issu d'une famille sensiblement moins riche que celle de sa future épouse. Dans ce cas, il est assez fréquent que le notaire soit également celui de cette dernière. C'est après tout là qu'il y a le plus d'enjeux financiers et patrimoniaux, et donc le plus de précautions à prendre.

Parce que ce contrat, c'est avant tout un document financier. Reconnaissons-le, tout cela n'est pas très romantique. Et même si je vous ai dit que les sentiments des deux futurs époux ne sont pas négligés lors des négociations préparatoires, ces inclinations n'apparaissent pas dans le document qui va être rédigé. Seules quelques formules, ici ou là, rappellent que nous sommes aussi des êtres chez qui les sentiments comptent. Mais ces formules, dans le contexte du contrat, sont presque rituelles. Même s'il est tout à fait possible qu'elles correspondent à la vérité des sentiments qu'elles évoquent, elles semblent finalement très impersonnelles, tant elles sont récurrentes (parfois plusieurs fois dans un même contrat).

Quand mon aïeul Joan Antoni Ribera maria sa fille Margarida, c'est "son bon amour paternel" qui le conduisit à donner en dot ... etc...

Et comme c'est un document important, les capitols matrimonials se divisent en plusieurs parties d'inégale importance, mais que l'on retrouve toujours.
   - L'identification des contractants. Ils ne sont pas forcément les futurs mariés. Mais ceux qui vont agir et s'engager pour eux aux clauses qui vont suivre. En général, ce sont les pères; parfois les mères aussi, si une partie des biens qui vont être donnés sont issus d'une dot antérieure; et dans certains cas, tel ou tel parent (frère, oncle, cousin, notamment si le père est déjà décédé).
   - L'énumération des témoins. Ceux-là ne participeront pas aux clauses du contrat. Mais leur présence officialise la valeur de ce qui va être décidé aux yeux de la communauté. Ils sont des voisins, des amis, des parents plus ou moins lointains; leur nombre est variable, et ils peuvent parfois être nombreux. Le notaire décidera s'il les cite tous, ou s'il s'en tient à une autre formule habituelle de ces contrats: y altres parents y amichs (et autres parents et amis).
   - Enfin on passe aux choses sérieuses!... Sans oublier de rappeler que tout cela se fait sous l'autorité morale de l'Église, avec plus ou moins de formules rituelles, selon que le notaire (dont je vous rappelle qu'il est payé à la ligne) a été autorisé ou pas à se montrer bavard. Et là commence l'exposé, qui peut être fort long, de ce qui va être donné par la famille de la mariée à cette dernière, et qu'elle va apporter dans l'escarcelle du nouveau couple. Tout est détaillé, dans les moindres détails. Le don peut être de l'argent, des biens meubles (vêtements, mobiliers, voire animaux de ferme), des terres, et même dans certains cas des droits dont on dispose sur d'autres biens, lesquels droits procureront des revenus.

Il serait inutile, et sans doute fastidieux, d'énumérer tous les types d'engagements accompagnant ces dons à la mariée. Je n'en mentionnerai que trois, révélateurs de ce qui est important pour notre société catalane du dix-septième siècle.
   - Le contrat s'empresse de préciser que la mariée (elle aussi pour le bon amour etc...) apporte en dot à son futur mari les biens qu'elle reçoit par ce contrat. Tous les biens? En général, mais pas forcément. Il se peut qu'elle en conserve une partie, dont elle gardera la jouissance. Même s'il lui faudra toujours l'autorisation de son mari pour les céder ou les vendre.
   - Le contrat pense aussi à l'avenir. C'est-à-dire aux enfants qui devront naître de cette union. Or, la vie ne permet pas forcément à un mariage d'avoir une telle issue: les décès précoces sont nombreux, à mon époque... Le contrat, souvent, précise les conditions dans lesquelles tout ou partie de ces dons devront être restitués à la famille donatrice, en cas d'union restée infertile au moment du décès de l'épouse. Les dons cités sont faits aux conjoints, certes, mais à condition que le couple qui se crée ait une descendance. Car ces dons sont aussi pour consolider la situation sociale des futurs enfants.
   - Les donateurs, enfin, ne s'oublient pas complètement. Il arrive que des contrats précisent clairement qu'ils conservent une part de leurs biens, afin de pouvoir doter leurs autres enfants est-il écrit; ou bien que la dot dont il est question entrera dans le décompte des biens laissés, plus tard, en héritage. D'une certaine manière, le contrat de mariage d'un couple a des conséquences sur le patrimoine familial d'ensemble. Les autres héritiers peuvent donc y être mentionnés, au moins pour préserver leurs droits futurs.
Et il arrive parfois que le contrat envisage même les conditions de vie à venir: soit que le futur marié devra habiter dans sa belle-famille (et lui apporter sa force de travail), soit que les futurs époux s'engagent à subvenir aux besoins des donateurs, durant le reste de leur vie.
Vous le voyez: le contrat de mariage n'est pas un acte à négliger, même s'il est parfois succinct.

Avec ses deux pages seulement, le contrat de mariage entre Pere Trillas et Margarida Ribera fut assez laconique. Ce n'était pas toujours le cas, loin de là.

Vous comprenez qu'il y eut de longues, et parfois houleuses, négociations avant d'en arriver à la signature.
Mais au fait, cette signature a-t-elle lieu avant ou après l'union elle-même? La plupart du temps, avant. Parfois quelques semaines auparavant, le plus souvent durant les jours qui précèdent la cérémonie. Il est même assez fréquent que le contrat soit daté du jour même du mariage. C'est notamment le cas lorsque les époux résident dans un lieu éloigné de l'officine du notaire, et que s'y rendre entraînerait des frais importants. Avec les instructions qu'il a reçues, souvent par l'intermédiaire du curé de la paroisse, le notaire a rédigé l'acte, et lui-même ou un de ses clercs se rendent à la noce où ils sont sûrs d'avoir tout le monde sous la main pour la passation définitive de celui-ci. C'est pour cela que certains contrats sont raturés: il a fallu y réparer un oubli, ou faire une modification au dernier moment.

Il arrive parfois que l'union à l'église soit antérieure à la signature du contrat.
Par exemple, quand il n'y a vraiment pas assez de biens chez l'un des époux (ou les deux) pour qu'il soit crédible de prévoir des clauses matrimoniales; on a beaucoup rencontré ce cas lors des fréquentes arrivées d'immigrants en provenance du Royaume de France, au tout début de mon siècle. Le contrat de mariage a été rédigé par la suite, lorsque l'installation et la sécurité financière étaient devenues suffisamment solides qu'on pût faire des promesses de dons.
Mais il arrive aussi que des raisons plus ... physiologiques nécessitent de hâter la cérémonie religieuse. Quand les futurs époux n'ont pas attendu tous ces préalables pour entamer des relations plus intimes, et que déjà un enfant s'annonce. On pare alors au plus pressé, en mariant les jeunes parents, et on songe ensuite à fixer les termes juridiques du contrat.

Parce que malgré l'omniprésence des préceptes religieux encadrant notre société, les jeunes gens et jeunes filles de mon temps n'ont pas grand-chose à envier à ce que Patrick me raconte de votre époque, quant aux relations intimes...

À condition, toujours, de préserver les apparences...

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L'abbaye disparue de Sant Andreu de Sureda

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai souvent parlé de paroisses disparues. J'ai même évoqué, avec Torreneules, une église totalement désaffectée qui a fini par disparaître sans laisser la moindre trace.
Mais lorsqu'il s'agit d'abbayes, il est plus rare qu'elles aient totalement disparu. Du moins à mon époque; les siècles qui vont suivre le mien seront, semble-t-il, plutôt durs pour les lieux de religion. Mais durant mon dix-septième siècle encore, nous avons conservé un certain respect pour ces implantations souvent plusieurs fois séculaires.

Il en existe toutefois une, près d'Argelès, qui a disparu depuis fort longtemps, à l'heure où je vous parle. C'est celle de Saint André, village qui s'est longtemps appelé Saint André de Sorède. Déjà au XIII° siècle, selon une charte de l'époque, l'abbaye ne réunissait plus que quatre moines!...
Pourtant, Saint André est dans la plaine, contrairement aux paroisses isolées au creux d'un vallon que j'ai évoquées pour vous dans des articles précédents. Le village est même situé sur la large route fréquentée reliant Argelès à Céret, et au-delà à tout le Vallespir. Une voie de passage importante, donc, sur laquelle l'abbaye Sant Andreu de Sureda aurait dû prospérer.

Surtout que ses fondateurs avaient édifié là un bien beau bâtiment, au IX° siècle. Du moins si j'en juge par le seul vestige qui existe encore à mon époque: l'église paroissiale de Saint André, qui fut l'église de l'abbaye. Il ne reste plus rien des autres bâtiments, du cloître, des jardins... Le déclin spirituel s'est accompagné d'un effacement architectural. Hélas!...

Une architecture complexe, assez rare dans notre région

Cette richesse initiale de l'implantation, dont les moines étaient d'obédience bénédictine comme souvent dans notre région, ne dura pas plus de trois siècles.

Pourquoi Sant Andreu de Sureda a-t-elle périclité, alors?
En raison de ce que vous appelleriez, en votre temps, les lois de la concurrence!...
En fait, c'est sa proximité géographique avec l'autre abbaye, bénédictine elle aussi, de Saint Genis qui lui causa un tort fatal. Il est probable qu'au cours du treizième siècle, les deux abbayes voisines divergèrent par le dynamisme inégal de leur abbé, par la protection intermittente de l'évêque du diocèse d'Elne, ou par l'appétit à géométrie variable d'une autre grande abbaye des environs (je pense à celle d'Arles, qui se montra longtemps conquérante en terres et en faveurs).
Quoi qu'il en soit, Sant Andreu de Sureda s'enfonça dans l'oubli et l'abandon, quand Sant Genis de Fontanes résista et, même si elle est fragilisée depuis l'annexion de l'année dernière, résiste encore. À tous les sens du terme, d'ailleurs, quand on pense aux relations suivies de l'abbé Maur de La Rea avec les insurgés d'Emanuel d'Oms!...

Finalement, si l'on cherche un symbole de ce combat inégal entre les deux implantations, c'est dans le linteau de leur portail d'entrée qu'on peut le trouver le plus aisément. Celui de Sant Andreu imite celui de Sant Genis.

La même inspiration, la même composition, mais pas la même beauté ni la même émotion

Mais c'est une imitation bien timide, beaucoup plus simple, voire frustre, presque maladroite, qui n'a pas l'élan mystique du modèle initial...

Comme si, finalement, Sant Andreu de Sureda avait toujours su que son destin serait à terme éclipsé par celui de Sant Genis de Fontanes.

Publié dans Ma région

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Argelès ... à l'origine

Publié le par Jaume Ribera

Je vous l'ai dit il y a environ une semaine: la mer, jadis, s'étendait bien plus profondément dans l'actuelle plaine roussillonnaise que de nos jours. Là où se situe Argelès, puisque nous sommes au pied de la montagne pyrénéenne, l'avancée de la mer était toutefois moins importante qu'au niveau de Canet ou de la Salanque. C'est pourquoi je vous disais qu'en ces temps éloignés (deux millénaires avant notre ère, environ), Argelès aurait été un port ... s'il y avait existé quelque chose.

Mais il n'y existait rien. Rien en tous cas qui puisse avoir accroché la mémoire des hommes, par delà les siècles. Sans doute quelques pauvres cabanes, mais rien qui pût être appelé un village (même au futur).

La première mention d'Argelès, en tous cas, date de bien plus tard: à la fin du IX° siècle seulement. À cette période, la royauté carolingienne a entrepris de repeupler cette terre dont elle vient de chasser les Sarrasins, quelques décennies plus tôt. Elle l'organisa en Marche d'Espagne, dont elle confia la gestion à quelques nobliaux locaux, presque tous wisigoths d'origine. Ceux-ci contribuèrent à la première apparition de lieux d'habitats regroupés, qui devinrent plus tard les villages que nous connaissons.

La réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers CarolingiensLa réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers Carolingiens

La réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers Carolingiens

Toutefois, lorsqu'en 879 un texte foncier cite pour la première fois la Villa de Argilariis, cela ne veut bien sûr pas dire la "ville". Il faut le comprendre dans son sens latin traditionnel: la propriété.
À ce moment-là, le territoire de notre future cité n'est qu'une simple possession foncière. De qui? De l'abbaye de Saint Genis, dont je vous ai parlé il y a peu. Hormis les quelques pauvres hères qui y travaillaient la terre argileuse, cette possession n'était rien d'autre qu'un vaste espace semi-désertique, qui ne devait pas apporter beaucoup de ressources à la toute nouvelle abbaye.

J'ai dit "terre argileuse"?
Eh bien oui: là est l'origine du nom d'Argelès. L'argile qui est en abondance dans son sous-sol (signe de la lente sédimentation des temps où tout cela était recouvert par les eaux) a donné son nom à la zone et à la propriété foncière qui s'y trouvait.

Ce n'est qu'au cours du XI° siècle qu'à cet endroit se développa, assez rapidement, un véritable bourg, qui est devenu ensuite notre cité. Administré par les comtes catalans, qui s'étaient assez vite émancipés de leurs tuteurs carolingiens, le Roussillon connut à cette époque une véritable prospérité économique. Il attirait de nombreuses populations venant s'y installer, tant de Francie que de l'Espagne restée sarrasine.
Située au carrefour des voies d'échange et de passage, suffisamment distante de la mer et de la montagne pour se sentir sécurisée, la Villa de Argilariis a tiré profit de cette situation, et s'est structurée en village avec son église, ses fossés défensifs, ses premières tours fortifiées, ses habitations regroupées, ses quelques jardins extérieurs.
Elle attira aussi les populations des quelques paroisses qui préexistaient, plus près de la montagne, et dont ne subsistent plus aujourd'hui (pas toujours) que les petites églises, dont j'ai déjà évoqué certaines: Saint Laurent, Saint Pierre, La Pava, Saint Julien...

Le temps des origines était fini: la cité royale pouvait commencer son destin. Un destin que je vous raconterai, bien sûr, et qui fut assez vite riche, si l'on en croit les vestiges qu'il nous a laissés.
 

Le capbreu de 1292, éloquent livre de droits féodaux, l'un des plus beaux de l'époque

 

Publié dans Ma vie

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Nos curés

Publié le par Jaume Ribera

Personnage essentiel de la vie de toutes les communautés humaines, dans ma société, les curés de paroisse ont été extrêmement caricaturés durant les siècles qui ont suivi, m'a expliqué Patrick.
Même si à titre personnel, je ne suis pas forcément très proche d'eux, sans doute en raison de l'influence de Francisco à mes côtés, je tiens à profiter de ces récits que je vous envoie pour enjamber une fois de plus les inventions des siècles et restaurer les réputations maltraitées.

Avant tout, le curé est celui qui a pour fonction de nous transmettre la parole divine. Il le fait toutefois, il faut l'admettre, par le moyen d'une liturgie qui nous reste assez largement hermétique: la langue de la religion est à notre époque le latin, que quasiment personne, parmi nous, ne comprend. Même moi, que mes études de médecine ont amené à manipuler cette langue, je ne comprends pas le dixième de ce qui se dit ou se psalmodie durant les offices religieux.

Sur un autel improvisé avec quelques paroissiens, en chaire dans sa majestueuse église, ou lors d'une cérémonie en plein air... célébrer la messe est la tâche principale du curéSur un autel improvisé avec quelques paroissiens, en chaire dans sa majestueuse église, ou lors d'une cérémonie en plein air... célébrer la messe est la tâche principale du curéSur un autel improvisé avec quelques paroissiens, en chaire dans sa majestueuse église, ou lors d'une cérémonie en plein air... célébrer la messe est la tâche principale du curé

Sur un autel improvisé avec quelques paroissiens, en chaire dans sa majestueuse église, ou lors d'une cérémonie en plein air... célébrer la messe est la tâche principale du curé

Alors en quoi y a-t-il transmission du message divin? Parce que notre époque est encore fondamentalement imprégnée par le discours catholique. Nous sommes une société rurale, peu instruite au-delà des rudiments fondamentaux, qui a besoin d'une colonne vertébrale spirituelle, susceptible de mieux nous faire accepter notre condition de mortels.
Ce n'est toutefois pas pendant les offices que le curé nous fait comprendre ce message divin. C'est en s'appuyant sur le prestige conféré par leur célébration que par la suite, au quotidien, ses conseils, ses paroles en confession, sa présence aux moments importants de notre vie, diffusent une pensée dont nous avons nécessairement besoin pour conduire nos vies.

Mais le curé, c'est aussi un relai du pouvoir. Le pouvoir des seigneurs, le pouvoir des notaires, le pouvoir des abbés lointains... de tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont des droits à exercer sur nos communautés. C'est le curé qui tient les registres paroissiaux; lui qui reçoit les testaments de ceux qui sont trop faibles ou trop pauvres pour se rendre jusque chez le notaire; lui toujours qui sert parfois d'intermédiaire dans la perception des divers impôts et taxes que nous devons acquitter; lui toujours qui assure (je vous en ai parlé) l'éducation donnée aux enfants...

Tenir les registres paroissiaux: une tâche essentielle à laquelle ils apportaient parfois beaucoup de soin et d'application. Parfois moins...

Il est la mémoire de la communauté, d'autant plus qu'il est un des rares à maîtriser totalement l'écriture et la lecture... Il est aussi, auprès de nous, celui qui pourra nous aider dans telle ou telle démarche. Dans notre époque très procédurière nous avons besoin, à nos côtés, de quelqu'un qui saura nous épauler, nous conseiller, nous aider à éviter les obstacles et les pièges.

Alors qui sont-ils, ces curés?
Souvent, mais pas toujours, ils sont issus d'une des principales familles de la paroisse (ou d'une paroisse voisine). Pour elles, vouer un de leurs enfants (fréquemment plusieurs) à la religion est un gage de piété, qui leur sera rendu dans l'au-delà. Et pour l'Église, c'est l'assurance de ne pas manquer d'effectifs: le réseau des paroisses est très dense, et j'en connais certaines (souvenez-vous de mon enquête à Serrabona) qui ne comptent que quelques fidèles dont il faut néanmoins s'occuper.
Dans les paroisses de montagne (c'est moins vrai dans la plaine, et plus on se rapproche de Perpignan), les curés leur restent fidèles jusqu'à ce que l'âge ou la maladie les privent de leur ministère. Lorsque le moment arrive, il est fréquent qu'ils restent sur place, avec des tâches allégées, secondés par un nouveau curé qui les remplacera totalement après leur mort. Ce futur remplaçant a été souvent instruit, formé, choisi par eux-mêmes. Surtout s'il est de leur famille...

En 1757, Antoni Storch décède. Il était curé de Boule d'Amont depuis plus d'un demi-siècle, secondé depuis quelques années par son neveu, qui resta lui-même à la tête de la paroisse durant plus de dix-sept ans

Pour la communauté, c'est une continuité précieuse, car elle est garante d'une mémoire perpétuée des enjeux, des rivalités, des promesses, des menaces, qui traversent (et cimentent aussi) notre groupe.

Finalement, le curé est l'un des nôtres. Il vit comme nous, il s'habille comme nous, il partage nos travaux, nos fêtes, nos peines... et souvent aussi nos travers: ils ont beau être curés, ils n'en sont pas moins humains...
Cela dit, ce que je viens de vous dire est de moins en moins vrai. Depuis quelques décennies, la Contre-Réforme catholique veut redonner une certaine majesté, gage de rectitude et d'intégrité dans l'engagement religieux, à tous nos curés.

Cela ne va, souvent, pas sans mal...

J'aurai l'occasion de vous en reparler.

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