Habiter dans la cité
Grâce aux romans issus de mes enquêtes, vous avez eu l'occasion de vous rendre en ma compagnie jusqu'à certains mas et fermes de la campagne roussillonnaise. Moins souvent dans les habitations de la montagne.
Lorsque vous m'avez suivi jusqu'au vaste mas de mon ami Agosti Senyerich, au début de mon enquête sur Les anges de Saint Genis, je ne vous ai pas entraînés à l'intérieur; nous sommes restés sur le grand pré lui servant de cour principale. Il en a été de même au mas Nogarol, quand Sylvia s'y est rendue alors que je feuilletais de vieux grimoires au prieuré de Serrabona, lors de ma dernière enquête publiée.
Je vous parlerai plus longuement, une autre fois, de ces vastes demeures, où la place occupée par les humains, en réalité, n'est que restreinte.
Aujourd'hui, c'est l'habitat dans les murs de l'espace urbain que je voudrais évoquer.
La contrainte y est simple: les murailles de la cité l'empêchent de s'étendre, alors que la population croît.
Les années de guerre ont vu converger vers cet espace tous ceux qui y recherchaient un semblant de sécurité. Et depuis la fin des combats, malgré l'incertitude politique qui a longtemps régné entre Français et Espagnols, la natalité a repris fortement, comme toujours après une guerre. Peu à peu, les maisons abritent de plus en plus d'habitants, et les quelques parties encore libres se couvrent de nouvelles constructions. Et comme il est encore assez hasardeux, et peu sécurisé, de vivre hors les murs, seul un petit faubourg, à Argelès, déborde à l'extérieur, de part et d'autre de la route menant vers Collioure.
À l'intérieur des murs, on est donc contraint de se serrer.

Les maisons sont étroites, même si elles ont souvent deux ou trois niveaux (pas plus, car après l'ensemble est trop fragile). Parce que le sol est rare, les bâtisses ne peuvent pas s'étaler; mais elles grimpent, superposant les niveaux. Si on peut se le permettre, on possède ainsi plus d'espace. Et quand on n'a pas besoin de plusieurs niveaux, si on vit seul par exemple, on peut louer le reste à d'autres personnes. On y gagne des revenus, même si on y perd en autonomie; mais quand les temps sont durs, il faut en passer par là.

À l'intérieur des maisons, donc, l'espace est compté. Souvent, il n'y a qu'une pièce par niveau. Vous l'avez compris: toute notre vie est concentrée dans ce même petit espace, où on mange, on dort, on se lave, on reçoit les amis (rarement), on élève les enfants (quand on en a). Votre période, je le sais, voit d'un très mauvais œil cette promiscuité entre tous les habitants d'une même maison, quel que soit leur âge. Mais nous, nous y sommes habitués.
Pourtant, ce n'est pas sans danger: les maladies se répandent d'autant plus vite. Les catastrophes aussi, lorsqu'il en survient: un incendie, dans une cité comme la nôtre, est un événement réellement dramatique.
Dans les grandes villes, de plus, les animaux partagent l'habitat avec les humains. Lorsque je me rends à Perpignan, c'est quelque chose qui me stupéfie toujours, même si je le sais déjà en y arrivant: chiens, chats, poules, canards, chevaux, cochons même, passent indifféremment de l'intérieur des maisons dans la rue, dans un brassage constant.
Dans les villages ou même les bourgs comme Argelès, toutefois, les maisons sont souvent accompagnées de petits jardins, des patis. Très petits, certes, mais qui permettent d'y cantonner un peu la vie animale; quand il y en a une, cela dit. Tous n'ont pas assez d'argent pour posséder autre chose que quelques biens matériels...
Vous l'avez compris: ce que Patrick appelle la politique de la ville, qui paraît-il vous occupe fort à votre époque, ce n'est pas vraiment du concret, dans mon dix-septième siècle.
Ce sera pour plus tard, quand nos autres priorités seront satisfaites...