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Habiter dans la cité

Publié le par Jaume Ribera

Grâce aux romans issus de mes enquêtes, vous avez eu l'occasion de vous rendre en ma compagnie jusqu'à certains mas et fermes de la campagne roussillonnaise. Moins souvent dans les habitations de la montagne.
Lorsque vous m'avez suivi jusqu'au vaste mas de mon ami Agosti Senyerich, au début de mon enquête sur Les anges de Saint Genis, je ne vous ai pas entraînés à l'intérieur; nous sommes restés sur le grand pré lui servant de cour principale. Il en a été de même au mas Nogarol, quand Sylvia s'y est rendue alors que je feuilletais de vieux grimoires au prieuré de Serrabona, lors de ma dernière enquête publiée.
Je vous parlerai plus longuement, une autre fois, de ces vastes demeures, où la place occupée par les humains, en réalité, n'est que restreinte.
Aujourd'hui, c'est l'habitat dans les murs de l'espace urbain que je voudrais évoquer.

La contrainte y est simple: les murailles de la cité l'empêchent de s'étendre, alors que la population croît.
Les années de guerre ont vu converger vers cet espace tous ceux qui y recherchaient un semblant de sécurité. Et depuis la fin des combats, malgré l'incertitude politique qui a longtemps régné entre Français et Espagnols, la natalité a repris fortement, comme toujours après une guerre. Peu à peu, les maisons abritent de plus en plus d'habitants, et les quelques parties encore libres se couvrent de nouvelles constructions. Et comme il est encore assez hasardeux, et peu sécurisé, de vivre hors les murs, seul un petit faubourg, à Argelès, déborde à l'extérieur, de part et d'autre de la route menant vers Collioure.

À l'intérieur des murs, on est donc contraint de se serrer.

Un plan d'Argelès (vers le Portal de Mart), prouvant l'étroitesse des maisons, serrées les unes contre les autres

Les maisons sont étroites, même si elles ont souvent deux ou trois niveaux (pas plus, car après l'ensemble est trop fragile). Parce que le sol est rare, les bâtisses ne peuvent pas s'étaler; mais elles grimpent, superposant les niveaux. Si on peut se le permettre, on possède ainsi plus d'espace. Et quand on n'a pas besoin de plusieurs niveaux, si on vit seul par exemple, on peut louer le reste à d'autres personnes. On y gagne des revenus, même si on y perd en autonomie; mais quand les temps sont durs, il faut en passer par là.
 

Avec une paillasse sommairement dressée dans un coin, tout l'habitat concentré au même endroit

À l'intérieur des maisons, donc, l'espace est compté. Souvent, il n'y a qu'une pièce par niveau. Vous l'avez compris: toute notre vie est concentrée dans ce même petit espace, où on mange, on dort, on se lave, on reçoit les amis (rarement), on élève les enfants (quand on en a). Votre période, je le sais, voit d'un très mauvais œil cette promiscuité entre tous les habitants d'une même maison, quel que soit leur âge. Mais nous, nous y sommes habitués.
Pourtant, ce n'est pas sans danger: les maladies se répandent d'autant plus vite. Les catastrophes aussi, lorsqu'il en survient: un incendie, dans une cité comme la nôtre, est un événement réellement dramatique.

Dans les grandes villes, de plus, les animaux partagent l'habitat avec les humains. Lorsque je me rends à Perpignan, c'est quelque chose qui me stupéfie toujours, même si je le sais déjà en y arrivant: chiens, chats, poules, canards, chevaux, cochons même, passent indifféremment de l'intérieur des maisons dans la rue, dans un brassage constant.
Dans les villages ou même les bourgs comme Argelès, toutefois, les maisons sont souvent accompagnées de petits jardins, des patis. Très petits, certes, mais qui permettent d'y cantonner un peu la vie animale; quand il y en a une, cela dit. Tous n'ont pas assez d'argent pour posséder autre chose que quelques biens matériels...

Vous l'avez compris: ce que Patrick appelle la politique de la ville, qui paraît-il vous occupe fort à votre époque, ce n'est pas vraiment du concret, dans mon dix-septième siècle.

Ce sera pour plus tard, quand nos autres priorités seront satisfaites...

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Noël: un jour comme les autres

Publié le par Jaume Ribera

Aujourd'hui, Patrick m'a souhaité un joyeux Noël!...
Rien de plus normal, pensez-vous sans doute. À un détail près: ce souhait ne signifie rien de concret à mon époque.

Bien sûr Noël est, pour nous comme pour vous, le jour où est célébrée la naissance du Christ; quasiment le début de l'année liturgique.

Une Nativité toute simple... Comme nous aimons l'imaginer

Mais c'est tout.
Il n'est pas question, à mon époque, de festivités, de repas particulier, d'échanges de cadeaux, de jour sans travail... De tout ce qu'inclut, à votre lointain XXI° siècle, la célébration de Noël.

Est-ce à dire que Noël est un jour comme les autres? Eh bien oui!...
Au risque de vous surprendre, hormis un peu de travail supplémentaire pour nos curés, la célébration de la Nativité n'est rien d'autre, pour nous, qu'un simple événement religieux. Elle n'a aucune incidence sur la vie quotidienne.

Au point de vue liturgique, nous vivons depuis un peu plus d'un siècle sous le rythme unifié mis en place par le Concile de Trente. Le monde espagnol, auquel notre région appartenait jusqu'à il y a peu, a bénéficié de quelques exceptions liturgiques, dans les régions qui avaient été assez fortement influencées par la liturgie dite mozarabe. Mais la Catalogne, qui n'a que brièvement connu la domination sarrasine, n'était pas concernée par ces exceptions. Notre liturgie est donc totalement fidèle aux décisions du Concile.
Noël y est célébré par trois messes successives, le même jour: la messe de Minuit (qui s'est longtemps appelée "messe des Anges"), la messe de l'Aurore (ou "messe des Bergers"), et la messe du Jour ("messe du Verbe divin"). Il n'y a pas d'obligation absolue de participer à ces trois messes; mais n'oubliez pas que je vis en un temps où la religion, et ceux qui la professent, sont omniprésents. Il vaut mieux ne pas se tenir ostensiblement à l'écart. La messe nocturne, la première des trois, est donc particulièrement suivie; pour les deux autres, on peut toujours trouver l'excuse du travail à faire, ou de quelque autre activité impérative.
C'est sans doute pour cela qu'à votre époque, seule la messe de minuit a survécu, et a fini par englober les deux autres.

Cela, c'est pour la nuit précédant le jour de Noël. Mais la journée elle-même est, je vous l'assure, un jour comme les autres. Je n'ai guère qu'une anecdote à vous raconter, à son sujet.

Certains, parfois, font revivre une très ancienne coutume médiévale: le Tió de Nadal.
À l'origine, le tió était une grosse bûche (vraiment très grosse!...) qu'on faisait se consumer durant toute la période allant de Noël au Jour de l'An, et plus si possible. C'était le cadeau de la chaleur offerte par cette bûche qui était la seule offrande de la période. Une coutume qui date, paraît-il, d'avant le christianisme. C'est vous dire si elle est ancienne!
De nos jours, l'offrande faite par la bûche est plus matérielle: des pâtisseries, du touron, des fruits secs... Ceux-ci sont introduits durant la nuit dans le tronc devenu peu à peu creux du tió et les enfants les en extraient jour après jour, au cours d'une sorte de sarabande où coups de bâton sur la bûche et comptines pas toujours recommandables font partie du "rituel".

C'est cela, pour les enfants, faire ch... le tió

Voici le texte de l'une de ces comptines; je vous laisse le soin de chercher à la traduire... Je vous assure que les mots sont ceux réellement employés par les enfants... Mais le côté "visuel" de leur signification vous rebuterait peut-être... Cela passe mieux en catalan.

Caga tió. Caga torró, avellanes i mató. Si no cagues bé et daré un cop de bastó. Caga tió!

Mais au fait... Une bûche... À Noël... Cela ne vous rappelle rien?
Eh oui!... Le gâteau dont Patrick me raconte qu'il clôture souvent vos agapes de ce jour de fête a la même origine que notre bon vieux tió catalan: la bûche qui par ses offrandes apporte les bons présages sur la maisonnée.
C'est aussi pour cela que je ne vous ai pas traduit la petite comptine. Je ne voudrais pas vous gâcher le plaisir du dessert!...

Et puisque pour vous cela a du sens: Joyeux Noël à tous!...

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Las Cabanes et la chapelle Santa Coloma

Publié le par Jaume Ribera

Pour le coup, voici un hameau qui n'a quasiment pas bougé depuis les temps les plus anciens. Les maisons, bien sûr, ne sont plus les mêmes. Mais il ne s'est guère agrandi, au fil des siècles. Petit il était, et petit il est resté, planté au milieu des vignes bordant le cours du Tech, dont il n'est séparé que par le rideau d'arbres qui longe la rivière.
D'ailleurs, Patrick me dit qu'à votre époque, il a toujours la même petite taille... J'avoue que je trouve assez réjouissant de constater que certains endroits ont encore pour vous un aspect assez proche de celui que je leur connais!...

Le minuscule hameau, isolé dans une boucle du Tech; en bleu: l'emplacement de la chapelle Santa Coloma

Il faut dire que contrairement à d'autres hameaux dont je vous ai parlé, celui-ci ne se situe pas sur des voies de passage fréquentées ou dans des espaces disputés entre plusieurs seigneurs. Ici, les maîtres des lieux ont longtemps été les abbés de Sant Andreu de Sureda, abbaye que nous avons déjà évoquée. Ces derniers, en effet, étendaient leurs possessions vers le Tech, avant que l'abbaye disparaisse, alors que c'est plutôt vers les Albères que sa voisine de Sant Genis de Fontanes est influente.
Quoi qu'il en soit, les moines de Sant Andreu firent construire, tout près du hameau, une chapelle. Une bien curieuse construction, en vérité...

Lorsque j'enquêtais dans la propriété de Vilaclara, pour trouver l'assassin de la petite Rafela Salas, j'ai aperçu de loin cette chapelle. Tout le bâtiment est adossé à une sorte de mas fortifié, doté même d'une tour, qui domine nettement l'édifice religieux.
 

On dirait bien un castel et sa chapelle...On dirait bien un castel et sa chapelle...

On dirait bien un castel et sa chapelle...

Est-ce là le vestige d'un ancien château? Il ne semble pas, car l'histoire des environs ne fait état d'aucune seigneurie qui aurait possédé un château à cet endroit. Mais il n'est pas interdit de penser que les moines ont ainsi cherché, jadis, à protéger le hameau des Cabanes de son isolement. Ni qu'un hobereau local ait à une certaine époque tenté d'ériger ici les bases d'une seigneurie pour son propre compte, comme Jaume Salas avait entrepris de le faire à Vilaclara.

La chapelle elle-même, vouée à Santa Coloma, est beaucoup plus classique dans son architecture. D'assez petite taille, rectangulaire et dotée d'une seule nef, elle ne présente guère d'originalité par rapport aux autres petites chapelles disséminées ici ou là dans notre région. Sauf peut-être son clocher, constitué d'un mur percé de deux emplacements pour les cloches. Un clocher sans doute un peu trop ostentatoire pour une si petite bâtisse...

Tournée vers le hameau, elle en fut sans doute la minuscule église

Est-ce toutefois un défaut, devant le charme dégagé par l'ensemble?

Publié dans Ma région

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Sant Fructuos de Roca Vella

Publié le par Jaume Ribera

Je vous l'ai déjà dit: les Albères regorgent de petites chapelles, vestiges de fort anciennes églises paroissiales appartenant à des hameaux aujourd'hui plus ou moins disparus. Je vous ai déjà parlé de certaines d'entre elles.
Mais alors que la Pava, ou Lavall, continuent à rassembler des mas et donc des paroissiens, alors qu'elles ont encore une activité religieuse, même réduite, certaines ont déjà complètement cessé d'exister. Vous vous souvenez sans doute de Santa Maria de Torreneules, dont je vous ai raconté la lente agonie. Il y en eut d'autres, et parmi les plus anciennes.

C'est le cas d'une petite chapelle qui m'a toujours fasciné: Sant Fructuos de Roca Vella. Elle est située au sud de Laroque, et a été définitivement abandonnée au début de mon dix-septième siècle.
Elle est pourtant probablement un des plus anciens témoignages des premières implantations chrétiennes qui se sont peu à peu fixées sur ces contreforts des Albères.

Isolée au milieu de nulle part, désormais perdue dans la végétation

Là, aux temps carolingiens, se sont rassemblés quelques tenanciers ayant défriché, pour leur propre compte et parfois pour celui des abbayes voisines, des terres dont ils devenaient de ce fait propriétaires: le système des aprisions a beaucoup été utilisé par le pouvoir carolingien pour repeupler cette partie de la terre catalane.

C'est plus tard, à partir du douzième siècle, qu'émergea un réel pouvoir seigneurial implanté sur le piton rocheux qui, désormais prit définitivement le nom de Laroca, devenu pour vous Laroque. Autour du château qui avait été construit sur ce piton, et sans tenir compte des anciennes églises présentes depuis des siècles, les seigneurs successifs regroupèrent petit à petit les paysans, artisans et autres habitants, qui y gagnèrent la protection du château, en y perdant une part de leur liberté, notamment foncière.
Pour Sant Fructuos, qui était la plus excentrée des différentes églises situées sur le territoire dominé par ce nouveau château (bien plus excentrée, par exemple, que Nostra Senyora de Tanya, dont je vous ai déjà parlé), ce fut le début du déclin. Lent, mais inexorable. Jusqu'à, donc, son abandon.

Déjà, à mon époque, la nature reprend ses droits tout autour du bâtiment. Celui-ci est pourtant tout à fait remarquable. Contrairement à beaucoup de ces petites églises, à la taille souvent modeste et à l'architecture assez simple, l'église Sant Fructuos est assez haute, dominée de plus par un clocher en forme de tour renforçant cette sensation d'élévation. La nef, unique, est plutôt étroite et longe le sentier dominant la vallée du ruisseau de Laroque. Et surtout, particularité supplémentaire, cette haute nef est couronnée en son centre par une coupole soutenue par des arcs latéraux.

 

Cela dit, il va falloir me croire sur parole... Car Patrick me dit que tout ce que je viens de vous décrire est assez largement détruit, à votre époque. Et que s'il vous reste plus de vestiges de Sant Fructuos que de Torreneules, il est assez difficile d'imaginer le bâtiment que, moi, je connais...

Hélas, le temps y a aussi complété l'abandon des hommes. Pourquoi ne faites-vous rien pour, au moins, mieux préserver ce qui vous en reste?

Publié dans Ma région

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Que deviennent nos morts?

Publié le par Jeume Ribera

Non, rassurez-vous, je n'ai pas le moral en berne...
Mais récemment, j'ai été confronté avec Francisco à une série de décès, qu'il m'a fallu gérer et autant que possible limiter.
Et j'ai pu à nouveau constater à cette occasion la force des solidarités villageoises et des rites entourant la mort, au sein de notre société.
Je me suis dit que je pourrais vous en parler. D'autant que d'après ce que m'en dit Patrick, il se pense et se dit beaucoup de bêtises (c'est le moins qu'on puisse dire) sur ce sujet, à votre époque, concernant la mienne.

Tout d'abord, si vous voulez me faire plaisir, ôtez-vous définitivement de la tête l'idée que pour nous, la mort serait un événement banal, qui nous laisserait indifférents tant il est usuel.
Ce n'est pas parce que presque toutes les familles que je connais ont perdu précocement deux ou trois de leurs enfants; parce que les accidents de la vie sont bien plus souvent et plus rapidement fatals qu'à votre époque; parce que les maladies, surtout les plus contagieuses, causent de véritables ravages... que nous nous habituons au décès de qui que ce soit.
De par mon métier, il m'est hélas souvent arrivé de devoir accompagner les derniers instants d'un mourant. Je peux vous assurer qu'autour de nous, la peine, l'affliction, la douleur, les larmes et les cris étaient bien réels.

Famille éplorée après le dernier souffle

L'autre idée reçue qu'il faut que vous abandonniez, dont Patrick m'a fait part avec prudence tant il la trouvait étrange et tant il craignait de me vexer, c'est qu'après le trépas, il n'y aurait aucune considération chez nous envers le cadavre du défunt. Si l'on en croit certains écrits de votre temps, les corps sont aussitôt jetés dans des fosses communes qui ne sont jamais refermées, dans un coin du cimetière, laissant les intempéries, les animaux, la décomposition, œuvrer à la disparition du cadavre.
C'est vrai, cela s'est parfois produit. Lors des grandes épidémies (je vous ai déjà parlé de notre dernière grande peste, en 1652), les morts sont si nombreux que les survivants n'ont même plus assez de temps ni de forces pour les inhumer dignement. Alors oui, dans ces cas et à ces moments-là, de telles fosses ont pu exister, où tous se trouvaient jetés à la va-vite. Mais c'était lors de circonstances exceptionnelles!...
D'ordinaire, les cadavres sont inhumés dans la tombe familiale. Celle du défunt, celle de son conjoint, celle de la ferme ou du mas dans lesquels il habite et travaille pour les simples ouvriers de la terre. Il n'y a pas, c'est vrai, de tombe individuelle. Mais un lieu où sont inhumés, les uns après les autres, les uns sur les autres aussi, les défunts successifs d'un même groupe familial.

Où? Au cimetière paroissial, pour la plupart. En général, celui-ci se situe à l'ombre de l'église, au pied même de ses murs. Mais il est aussi possible que le défunt soit enseveli sur ses terres, voire dans une chapelle au sein de la propriété familiale. Dans tous les cas, il est conduit en terre sitôt après la cérémonie religieuse (souvent sobre et brève) qui a marqué aux yeux de tous son admission dans la vie éternelle. Celle, en tous cas, que nous promet régulièrement le curé...
Le corps a été longuement préparé (souvent par des femmes du village) et vêtu de ses habits les plus présentables. La dépouille est ensuite entourée d'un simple linceul, et enfermée dans un modeste cercueil de bois fabriqué tout exprès (parfois depuis longtemps!...) par le menuisier du village. Nulle ostentation dans cet apparat; il se veut avant tout fonctionnel, sauf pour les plus fortunés de notre société qui eux peuvent se permettre certaines extravagances mortuaires.
 

Plus ou moins d'apparat ou de solennité, mais le rituel des obsèques paysannes est partout le même

Il y a deux exceptions à une inhumation dans le cimetière. Au sein de nos communautés (plus souvent dans les villes que dans les villages), les plus riches paient parfois le droit de se faire inhumer à l'intérieur de l'église. Plus on paie, et plus sa tombe pourra être près du chœur. J'en ai aussi connu qui se faisaient inhumer sous le banc occupé par leur famille durant les offices religieux!
Et puis il y a ceux qui ne sont pas morts dans des conditions suffisamment chrétiennes pour que leur dépouille puisse reposer en un lieu consacré. Les suicidés, que l'Église considère comme morts en état de péché; ceux (très rares) qui ont refusé les derniers sacrements; ceux qui n'ont pas pu les recevoir, car leur décès a été trop soudain. Pour ceux-là, néanmoins, une tolérance (la plupart du temps monnayée, bien sûr) vient toutefois permettre leur inhumation au cimetière, surtout si un témoin providentiel (lui aussi, justement rémunéré pour son témoignage) vient attester que le défunt est mort dans les règles de la foi.

D'autant qu'on ne dispose pas de beaucoup de temps pour régler ces formalités. La très grande majorité des inhumations a lieu le lendemain (et parfois le jour même) du décès. Il peut arriver que la cérémonie soit reportée d'une journée supplémentaire, quand il faut absolument attendre l'arrivée de proches parents habitant dans une paroisse éloignée. La raison de cet empressement? Elle est surtout sanitaire. Nous ne disposons pas, en effet, de beaucoup de moyens pour préserver un cadavre de façon à éviter une possible contamination de l'environnement immédiat. Lorsque j'ai dû conserver pendant plusieurs jours, à Argelès, le mort qui avait été découvert au pied de la tour de Madeloc, lors de ma première enquête, la rumeur d'un risque d'épidémie n'a pas tardé à se répandre dans la cité!...

C'est peut-être en raison de cette vitesse, de la fréquence des décès, de cet apparat restreint, de l'absence de tombe individuelle, que beaucoup à votre époque sont persuadés que nous n'honorons pas nos morts convenablement. Que leur départ nous laisse pour ainsi dire indifférents, blasés...
Votre époque, me dit Patrick, est plus démonstrative face à la mort. Ce qui ne l'empêche pas de se montrer souvent très oublieuse envers les lieux où reposent ceux qui furent nos contemporains (et donc vos aïeux). Jugez-en vous-même...

Des cimetières abandonnés, à votre époque...Des cimetières abandonnés, à votre époque...Des cimetières abandonnés, à votre époque...

Des cimetières abandonnés, à votre époque...

Sans vouloir vous vexer: laquelle de nos deux époques, finalement, a moins que l'autre le respect de ses morts?...

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L'église Sant Martí i Santa Croce de Tatzo

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai déjà parlé du hameau de Tatzo, qui était le fief d'Emanuel d'Oms jusqu'à sa confiscation par les nouvelles autorités de la région. Ce hameau est trop petit pour avoir une église paroissiale. Mais cela n'empêche pas que les familles qui y résident (trois ou quatre, désormais, selon les périodes) disposent d'un lieu consacré pour vivre leur foi: la chapelle du château. Et le fait que celui-ci soit désormais fermé depuis la confiscation n'empêche pas que sa chapelle puisse servir encore, à l'occasion. Le curé d'Argelès vient parfois y célébrer un office, notamment à l'occasion des enterrements.

D'ailleurs, lorsque le cadavre de la jeune Rafela Salas a été trouvé aux abords du château, c'est à l'intérieur de cette chapelle que les villageois ont transporté le cadavre mutilé, avant même de venir me chercher... puis de me confier l'enquête pour retrouver son assassin (Patrick vous a raconté cela dans Les anges de Saint Genis). C'était, je crois, la première fois que je pénétrais dans cette chapelle. Quelle merveille architecturale!...

Une double nef, entrecoupée par trois travées sur deux étages, le tout se rejoignant en une travée de chœur puis une abside unique © SDAP Pyrénées-Orientales

À votre époque, Patrick me dit qu'elle est totalement abandonnée, après avoir servi de ... bergerie (!) durant des décennies. Quel dommage.

Sant Martí i Santa Croce date vraisemblablement des premières années du XI° siècle. Ce fameux An Mil qui effraya tant la chrétienté. Est-ce le soulagement de l'avoir franchi, qui provoqua tant d'audaces architecturales et artistiques? Je ne sais pas. Mais quoi qu'il en soit, la construction de la petite chapelle castrale de Tatzó nous a laissé une œuvre particulièrement complexe, révélatrice de l'opulence des comtes de Roussillon, créateurs et maîtres du château.

L'entrelacs des voûtes des deux nefs, et les travées latérales sur deux niveauxL'entrelacs des voûtes des deux nefs, et les travées latérales sur deux niveaux

L'entrelacs des voûtes des deux nefs, et les travées latérales sur deux niveaux

À mon époque, l'endroit n'a déjà plus la majesté qu'il eut durant des siècles. Certes, il n'est pas abandonné et rempli de gravats, comme pour vous, mais la fermeture du château l'amène petit à petit à se détériorer lentement. C'est peut-être, d'ailleurs, le but recherché par le gouverneur de Noailles... Avant d'ôter tout prestige à la noblesse locale.

Patrick me dit qu'il ne reste que quelques vestiges épars et fragiles, en votre époque lointaine, de ce qui fut un des plus massifs châteaux de toute la plaine du Roussillon. Et que l'église Sant Martí i Santa Croce attend désespérément qu'on veuille bien s'occuper d'elle, pour la restaurer un minimum...

Bientôt ruinée à l'ombre de l'antique tour; son modeste portail d'entrée; le chevet de l'abside uniqueBientôt ruinée à l'ombre de l'antique tour; son modeste portail d'entrée; le chevet de l'abside uniqueBientôt ruinée à l'ombre de l'antique tour; son modeste portail d'entrée; le chevet de l'abside unique

Bientôt ruinée à l'ombre de l'antique tour; son modeste portail d'entrée; le chevet de l'abside unique

Avouez que ce ne serait pas un luxe!...

Publié dans Ma région

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