Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Call

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai souvent parlé de monuments ou de lieux qui ont disparu entre mon époque et la vôtre. Pour une fois, je vais vous parler de quelque chose qui n'existe déjà plus de mon temps, mais qui a été important durant des siècles dans Perpignan. Il continue d'ailleurs de l'être, même s'il a complètement changé de nature.

Il s'agit d'un quartier de la ville que l'on appelait le Call. Un nom que l'on rencontre d'ailleurs dans d'autres grandes villes de l'aire catalane (Gérone, Barcelone...). Il était situé non loin de la citadelle, plus précisément en contrebas de la petite colline du Puig, qui fut longtemps extérieure aux remparts de la ville. Les rues y sont étroites, flanquées des hauts et anciens bâtiments des couvents qui s'échelonnent entre la cathédrale Sant Joan et l'église Sant Jaume.

L'emplacement approximatif du Call

L'emplacement approximatif du Call

À l'origine, avant le XIII° siècle, ce quartier à l'époque désert et extérieur aux murailles de la ville était le quartier des lépreux. En gros là où on reléguait ceux qu'on ne pouvait pas laisser s'installer au milieu des bien-portants, ne serait-ce qu'en raison du risque de contagion. Est-ce pour cela que le roi de Majorque Jaume I° y laissa s'y regrouper les populations juives qui affluaient dans la région depuis au moins un siècle? Je ne sais pas.

Quoi qu'il en soit non seulement ils furent autorisés à s'installer à Perpignan, mais grâce à des avantages divers en matière d'acquisition de terres, le roi parvint à les sédentariser. Il favorisa aussi l'implantation du minimum d'installations montrant qu'ils étaient les bienvenus dans la ville: une synagogue, un lieu de bains rituels, un lieu d'enseignement doté d'une bibliothèque. Et s'il fit édifier une muraille entourant le quartier et dotée de portes d'entrée spécifiques donnant sur l'extérieur et sur la ville, ce n'était pas uniquement pour mieux pouvoir surveiller leur communauté. C'était aussi pour la protéger de la vindicte des Perpignanais eux-mêmes, souvent moins accueillants envers ces nouveaux arrivants auxquels tant les religieux que les temps médiévaux prêtaient d'innombrables défauts. Ils eurent ainsi à subir de véritables pogroms dont les motivations étaient la plupart du temps floues, hormis la simple haine de l'autre.

Une bible hébraïque imprimée à Perpignan, signe d'une vraie richesse intellectuelle

Une bible hébraïque imprimée à Perpignan, signe d'une vraie richesse intellectuelle

C'est toutefois le XV° siècle qui marqua le déclin de la communauté juive de Perpignan. Les nombreuses épidémies qui frappèrent ce siècle y furent pour beaucoup, bien sûr, car il n'y avait aucune raison qu'elles eussent épargné une communauté plus qu'un autre. Mais pas seulement. On estime en général qu'un millier de personnes vivaient dans le Call. Mais quand arriva à Perpignan la nouvelle du décret par lequel les Rois Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille ordonnaient l'expulsion de tous les juifs vivant sur les terres d'Espagne, il n'y avait plus sur place qu'une quarantaine de personnes qui furent concernées et durent partir.

Désormais dépeuplées, la plupart des maisons du Call furent détruites. Une longue place (baptisée place du Puig) et des bâtiments militaires (une caserne notamment) les remplacèrent, tandis que les quelques rues avoisinantes accueillaient de nouvelles populations ostracisées: mendiants, brigands, prostituées, quelques artisans trop pauvres pour s'installer ailleurs... Un véritable mélange de populations d'origines sociales et ethniques variées, dont Patrick me dit que c'est encore de vos jours une caractéristique de ce quartier.

Partager cet article
Repost0

Aux Amériques!...

Publié le par Jaume Ribera

Souvenez-vous: c'était l'expression que répétait fréquemment Sylvia lorsqu'elle et moi avons appris, il y a un peu plus de trois ans, que notre ami Emanuel d'Oms s'embarquait avec femme et enfants pour un long séjour au-delà de l'océan. Nous n'avons pas eu beaucoup de nouvelles de sa part depuis. Lorsqu'elle est d'humeur triste, Sylvia s'imagine qu'il lui est arrivé malheur dans ces lointaines contrées. J'essaie de la rassurer en lui répétant ce que m'a expliqué Francisco. Certes, m'a-t-il dit, il s'agit de terres encore peu hospitalières pour nous Européens, mais il est loin le temps des premiers colons qui y risquaient quotidiennement leur vie.

Après tout, cela fait presque deux siècles que nous avons posé le pied sur ces nouvelles terres. Et notre ancienne patrie espagnole y a été pour beaucoup, qui à la fin du quinzième siècle considérait toute la mer caraïbe comme son domaine exclusif.

La mer des Caraïbes fut longtemps un "lac espagnol"

La mer des Caraïbes fut longtemps un "lac espagnol"

C'était sans compter sur les appétits des États (que les interminables guerres du début de mon siècle ont souvent financièrement ruinés) envers les richesses possédées par ces nouvelles terres. Richesses minières, bien sûr, mais aussi terres agricoles, épices nouvelles, bois précieux, fruits et légumes inconnus jusqu'alors...

Les diverses îles disséminées dans cette zone devinrent aussi à partir des années 1610 le lieu d'immigration de colons quittant leur terre natale ravagée par les guerres ou leurs familles trop nombreuses pour nourrir tous leurs enfants. Français, Anglais, Hollandais, arrivèrent de plus en plus nombreux avec pour objectif de s'implanter sur place et sans aucun espoir de retour (j'espère qu'il n'en sera pas de même pour Emanuel et les siens).

Des questions religieuses s'ajoutèrent au mirage économique: nombreux parmi ces migrants étaient ceux appartenant à celle que mon époque appelle encore "la religion prétendument réformée"; c'est-à-dire ceux que vous connaissez sous le vocable de "protestants". Ils y trouvaient un refuge pour fuir les guerres de religions; dans les deux sens, d'ailleurs, plusieurs arrivants étant aussi des catholiques chassés par les persécutions des États protestants du nord du continent.

Et bien sûr il y eut aussi parmi tous ces nouveaux arrivants le lot inévitable d'aventuriers, d'escrocs, de trafiquants, d'assassins parfois, essayant d'échapper à la justice de leurs pays d'origine. À mon époque par ailleurs, soit durant les années 1660, les principaux États concernés (dont la France) ont commencé à mettre en place l'envoi de navires entièrement féminins, afin de donner à ces migrants, majoritairement masculins, de futures compagnes capables de leur donner des enfants. Bien sûr, nombreuses parmi ces femmes sont des orphelines, des prostituées, des criminelles, des "femmes de mauvaise vie" cherchant elles aussi à repartir de zéro.

Un habitat souvent précaire au début, qui s'enrichira progressivement

Un habitat souvent précaire au début, qui s'enrichira progressivement

Toujours très manichéenne, votre époque dépeint pourtant ces implantations de colons comme un départ vers une nouvelle vie d'oisiveté et de richesse pour eux. Francisco me dit qu'il n'en est hélas rien et que leurs conditions de vie sont souvent extrêmement difficiles. Au moins durant les deux ou trois premières générations. S'il revient dans notre Catalogne, Emanuel nous dira comment il l'a ressenti.

Une raison de plus pour nous de souhaiter son retour!...

Partager cet article
Repost0

Les forges de Serralongue

Publié le par Patrick Dombrowsky

Après l'introspection  dans la vie et le passé de mes héros principaux, j'ai ressenti le besoin de prendre un peu d'air. Non pas que les révélations incluses dans l'enquête du Dolmen d'Argelès s'avèrent en quoi que ce soit paralysantes pour de nouvelles intrigues... Mais la vie de Jaume et Sylvia est appelée à connaître bien d'autres développements!...

C'est pour cela que je me suis attaché à les immerger dans la vie quotidienne d'un village isolé par les frimas de l'hiver en haut-Vallespir. Un village traversé, comme toute collectivité, par ses secrets, ses rancœurs, ses jalousies, ses faux-semblants, ses querelles...
Un village dont les habitants cherchent dans le même temps à assurer leur avenir, par nature difficile sur les hauteurs ingrates des montagnes où la survie est elle-même un effort constant. Dans un tel contexte, tout peut paraître susceptible d'améliorer l'ordinaire.

Mais à quel prix? C'est ce à quoi vont se heurter Jaume et Sylvia, qui pour la première fois enquêtent à l'unisson. Sans leurs amis et soutiens habituels. Ils sauront toutefois très vite s'en trouver d'autres, même les plus inattendus. Ce sera le prétexte pour rencontrer quelques "seconds rôles" passablement attachants. Enfin, je crois...

Car ne l'oublions pas: cette série d'enquêtes a aussi pour but de faire revivre la société catalane de cette époque, dans toute sa richesse...

J'espère que vos (éventuels) retours me montreront si la tentative a été convaincante.

Les forges de Serralongue

Publié dans De la part de Patrick

Partager cet article
Repost0

Les Morisques

Publié le par Jaume Ribera

Je l'avoue: c'est une frange de la population de notre province catalane à laquelle je ne m'étais pas vraiment intéressé jusqu'à tout récemment. Au cours d'une nouvelle enquête, j'ai été amené à d'abord en entendre parler, ensuite en fréquenter certains membres. Quelle histoire que celle de cette communauté qui nous vint des terres espagnoles!...

Vous le savez bien sûr, une large partie de ces dernières fut durant plusieurs siècles la possession de diverses entités politiques non chrétiennes, appelées selon les lieux et les périodes émirats, califats, taïfas, Al-Andalus... Ma fierté catalane tient toutefois à préciser que les terres situées des Pyrénées à Barcelone et d'Urgell à la mer ont constamment échappé à cette domination depuis au moins 900 ans (pour moi; c'est-à-dire le milieu du VIII° siècle).

De 757 à 1479, une lente reconquêteDe 757 à 1479, une lente reconquêteDe 757 à 1479, une lente reconquête

De 757 à 1479, une lente reconquête

La reconquista, durant laquelle ces sortes d'États furent peu à peu reconquis et soumis par des royaumes chrétiens, fut une longue période d'histoire qu'il n'est pas ici le lieu de raconter. Pour nous Catalans elle fut en tous cas un moment durant lequel les Mahométans (selon le terme encore utilisé à mon époque) n'étaient pas présents sur nos terres.

C'est une décision du pouvoir madrilène de 1609 qui provoqua indirectement l'arrivée de notre côté des Pyrénées de quelques Morisques. Ceux-ci étaient des chrétiens, convertis depuis quelques décennies ou descendants de convertis. Ces conversions n'avaient pas été totalement volontaires. Elles s'étaient produites en raison de la volonté d'élimination complète de l'islam des terres espagnoles. Cette religion, interdite en Castille depuis 1502, subsistait toutefois dans les terres royaume d'Aragon, qui incluaient la Catalogne et surtout le royaume de Valence, où les Mahométans et les Morisques étaient très nombreux (quelques centaines de milliers).

Bien que religieusement chrétiens, ces derniers conservaient des modes de vie et des particularités proches de l'islam: même si l'usage de la langue arabe déclina assez vite, ils furent notamment longtemps soupçonnés de complicité avec les pirates barbaresques. C'était une menace intolérable pour la Couronne espagnole, surtout à partir du règne de Philippe II (1555-1598). L'engrenage somme toute classique dura pendant tout le siècle précédent le mien: interdictions, révoltes, répression... jusqu'à la décision du et toujours inhumaine: les expulsés n'avaient le droit d'emporter avec eux que ce qu'ils pouvaient eux-mêmes transporter et il leur fut interdit sous peine de mort de détruire les biens (maisons, terres...) qu'ils durent abandonner, en général à leurs seigneurs.

Des représentations sans doute bien loin de la réalité de cette violente expulsionDes représentations sans doute bien loin de la réalité de cette violente expulsion

Des représentations sans doute bien loin de la réalité de cette violente expulsion

Tous ne partirent pas toutefois, car dans certaines régions du royaume les habitants eux-mêmes s'opposèrent parfois à leur expulsion, synonyme de perte de bras et de main d'œuvre au détriment de populations pourtant largement intégrées. La grande majorité des Morisques qui quittèrent le sol espagnol le firent à destination du nord de l'Afrique, où ils s'installèrent dans les différentes structures politiques qui les accueillirent (notamment la Régence d'Alger). Certains toutefois choisirent de traverser les Pyrénées et de s'installer en France, essentiellement en Languedoc.

Parmi eux, il y en eut qui restèrent en cours de route... Notamment dans notre partie de la Catalogne où ils eurent parfois de bien étranges destins.

Et c'est là que Patrick me demande de ne pas continuer, puisqu'il envisage de vous en parler dans la prochaine aventure écrite à partir de mes enquêtes.

Partager cet article
Repost0

Danger des Barbaresques

Publié le par Jaume Ribera

Parmi tous les dangers que doivent affronter les populations de mon époque, pirates et corsaires sont à la fois parmi les plus redoutés et parmi ceux qui ont laissé le moins de souvenirs. Loin de moi l'idée de vous infliger de longues digressions sur les différences entre ces deux groupes. Ce n'est pas mon objectif.

Je préfère vous parler globalement de ce qui est à mon époque une véritable hantise: les agressions venues de la mer. Cette grande mer bleue qui nous borde, et que nous sommes si peu nombreux à apprécier dans mes terres catalanes. Pourquoi? Parce que c'est par elle qu'arrivent ces dangereux ennemis.

Qui sont-ils? Pour l'essentiel ils viennent des rivages septentrionaux du continent africain. Maures, Berbères, Arabes, voire l'antique appellation de Sarrasins... on ne sait pas trop quel nom leur donner. Officiellement, ils dépendent tous de l'Empire Ottoman, loin vers l'Est. Trop loin en vérité, puisque la plupart de leurs territoires ont fini par acquérir leur autonomie et ne dépendent plus réellement de Constantinople.

Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...

Maures (à gauche)? Ou Berbères (à droite)? Dangereux ennemis en tous cas...

C'est un peu au hasard des rivalités entre chefs que s'organise leur gouvernement. Avec pour points communs au fil des décennies: la fréquence et la violence des changements à la tête de ces structures politiques regroupant des populations souvent nomades: Régence d'Alger, celle de Tunis, celle de Tripoli, République de Salé... Rares sont ceux qui parviennent à se maintenir au pouvoir longtemps, dans ces entités aux frontières extrêmement floues et fluctuantes.

Un autre point commun entre ces groupes est leur propension à écumer la grande mer qui nous sépare. Ils s'appuient sur la possession d'une marine de guerre fortement équipée et puissamment entraînée. Leur technique est toujours la même. Deux ou trois navires d'assez petite taille (la plupart du temps des galiotes) encerclent un des lourds navires des marines plus traditionnelles des pays d'Europe.

Attaque d'un navire marchand par deux galiotes barbaresques

Attaque d'un navire marchand par deux galiotes barbaresques

La suite dépend de l'évolution du combat et se termine par l'abordage ou l'arraisonnement, puis le sabordage du navire attaqué après qu'il a été vidé des richesses qu'il transportait et qui assurent la fortune de ces embryons d'États. Quant aux équipages, ils sont vendus sur les différents marchés aux esclaves présents jusqu'en Orient. À moins qu'ils aient la chance d'être rachetés par des navires chrétiens (de l'Ordre de Malte notamment) qui se sont entre autres donnés pour mission de sauver ceux qui pouvaient l'être de la servitude en terre musulmane.

Il n'y a toutefois pas que sur mer que les pirates et corsaires barbaresques sévissent. Sur terre aussi. Mon époque connaît fréquemment leurs incursions sur les littoraux, où ils pillent (surtout les richesses des églises et des abbayes), brûlent ou ravagent les cultures et aussi enlèvent. Des femmes surtout, jeunes de préférence, qui sont arrachées à leur famille et à leur village pour être emmenées outre-Méditerranée, au mieux (si j'ose écrire) en servitude, au pire dans des harems où elles sont prostituées.

Notre Roi Louis XIV a décidé avec son Conseil de mettre fin à cette source majeure d'insécurité. Une expédition a été décidée, avec l'essentiel de la flotte royale, pour prendre le contrôle d'une cité de la Côte des Barbaresques, Gigeri (pour vous Jijel). L'opération a réussi... quelques mois. Puis les rivalités entre commandants et le manque de consignes claires ont conduit au désastre. Il a fallu rembarquer en hâte à l'automne 1664, la peste venant de plus s'en mêler.

Mais de cela, je crois, Patrick a l'intention de vous parler dans le prochain récit d'une de mes enquêtes. Alors je n'en dis pas plus.

Partager cet article
Repost0

Le seigneur du village

Publié le par Jaume Ribera

Mon passage à Serralongue n'avait en principe pour seule raison que d'assister à un mariage. Mais bien évidemment (comme le répète ma chère et tendre Sylvia!) la mort s'est invitée durant mon séjour. Je ne vous en dis pas plus, car sinon j'aurai des soucis avec mon descendant et co-bloggueur Patrick.

En revanche il est d'accord pour que je vous parle de ma découverte d'un aspect essentiel de la vie de nos villages: le rôle du seigneur local. Pour les villages qui en disposent en tous cas. Comme vous le savez, Argelès n'en a pas. Ce fut donc une totale découverte pour moi. Et c'en sera une pour vous, car d'après ce que me dit Patrick, ce qu'en expliquent les documents qui en parlent à votre époque ne correspond qu'imparfaitement à ce que j'ai vu fonctionner dans ce petit village du haut Vallespir.

La raison de ce décalage entre ma réalité et les explications de vos contemporains est simple: il vient de la considérable capacité d'adaptation de nos pratiques sociales, qui sont loin d'être aussi figées que beaucoup voudraient le faire croire.

Caricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgenceCaricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgence

Caricatures du XVIII° siècle, à oublier d'urgence

Les images ci-dessus ne correspondent que très partiellement (et assez faussement) à la réalité de la société qui m'est contemporaine. Bien sûr, on pourra toujours trouver des nobles et/ou des religieux croulant sous les richesses et dont le désir le plus pressant est d'écraser le simple paysan vivant dans la misère. Même dans le Roussillon et les anciens comtés montagnards de mon siècle. Mais il ne faut jamais oublier que les turpitudes de quelques-uns ne constituent pas la réalité de toute une société. Pas plus à mon époque qu'à la vôtre.

Mon XVII° siècle est inégalitaire, c'est un fait. Comme le vôtre, d'ailleurs, même si ce n'est pas une inégalité identique. Mais ce que nous savons, de mon temps, c'est que la rareté des ressources et la difficulté pour les exploiter obligent à la solidarité de tous pour que le tissu social fonctionne. Chacun a une place et un rôle qui lui sont fixés par son métier, son statut social, son insertion au sein de la cité, le prestige local de sa famille. Et durant mon siècle, surtout dans le contexte d'une société qui se reconstitue peu à peu après le traumatisme des années de guerres et du changement de royaume, le seigneur local est un personnage central de la communauté. Pas parce qu'il serait le plus riche (il est fréquent que certains pagesos le soient plus que lui), mais parce qu'il a un rôle essentiel d'autorité: il est là pour faire respecter la règle sociale. Pour que chacun, si vous me permettez cette expression un peu vigoureuse, reste à cette place qui lui est déterminée.

Cela entraîne des relations interpersonnelles qui, je l'avoue, m'ont beaucoup surpris. Elles reposent sur la confiance mutuelle entre le seigneur et les habitants de son fief. Ils se connaissent depuis le berceau, ils se voient régulièrement, ils partagent parfois les mêmes tâches agricoles, ils ont les mêmes angoisses quant au mauvais temps et aux récoltes menacées, ils se retrouvent immanquablement pour les cérémonies familiales (baptêmes, mariages, obsèques, fêtes religieuses), ils s'épaulent et se réconfortent en cas de coups durs de la vie, ils se conseillent...

Si j'ose dire, c'est cela le travail du seigneur local! Et après tout il n'a aucun intérêt à laisser se distendre le lien de solidarité entre les membres de sa communauté villageoise. Car le seigneur d'un fief sans solidarité est un seigneur fragile... et donc vulnérable.

Cela n'empêche bien sûr pas que certains (seigneurs ou habitants) s'affranchissent de cet impératif de solidarité en trichant, volant, voire tuant... Et c'est là qu'intervient la justice seigneuriale. C'était d'elle que je pensais vous parler aujourd'hui. Mais ce billet est déjà trop long. Ce sera donc pour une prochaine fois! 😉

Partager cet article
Repost0

Galdares

Publié le par Jaume Ribera

Là, il me lance un vrai défi, Patrick!... Parce que parler de ce minuscule hameau sans histoires ce n'est pas simple. Que dire en effet?

L'endroit n'est pas habité depuis aussi longtemps que la plupart des villages environnants. Il est situé sur le chemin qui mène (en gros et avec beaucoup de lacets) de la vallée du Tech à Serralongue, dont il est un hameau. Ce chemin traverse des paysages vallonnés à perte de vue, où chaque ondulation succède à une autre. Lorsque nous avons découvert ces panoramas, recouverts de neige de plus, Sylvia et moi avons été impressionnés par le calme qui s'en dégage.

Paysage typique des environs de Galdares

Paysage typique des environs de Galdares

Deux hameaux, en fait. Ce qui leur a donné naissance, durant la période qu'on appelle le Moyen-Âge, est en effet l'exploitation du minerai de fer dont regorge tout le massif environnant du Canigou. Certes il n'y a pas de mine aux alentours (les plus proches sont plus loin vers le Sud, à Lamanère). Mais il y a des arbres, donc beaucoup de bois, et de l'eau avec les multiples ruisseaux et rivières dévalant les pentes des collines.

La ribera del Castell qui traverse le hameau dit du Grau d'Amunt est trop petite et ne bénéficie pas d'un débit suffisant pour permettre la moindre utilisation concrète (à la rigueur pour s'y rafraîchir... Vous découvrirez cela dans Les forges de Serralongue 😉).

En revanche, la ribera de la Menera est plus active. Là où les deux cours d'eau se rejoignent a prospéré un deuxième hameau, le Grau d'Avall, qui a rapidement pris le nom de Galdares, sans que tout le monde soit d'accord sur l'origine de ce nouveau nom.

Ici se rassemblent les deux ruisseaux

Ici se rassemblent les deux ruisseaux

Et surtout ce deuxième hameau a vu se développer une forge. Je n'ai pas su, lors de mon séjour dans ces vallées, depuis quand existe celle que j'ai vue, à l'arrêt depuis quelques années en raison des événements liés à la fin de la guerre franco-espagnole. Ce qui est certain est qu'au milieu du XVI° siècle (il y a donc plus de 100 ans) elle est devenue la propriété d'immigrants en provenance de Navarre, où ils avaient été anoblis avant que certains fils cadets viennent s'installer dans notre Vallespir, comme tant d'autres durant la deuxième moitié du siècle passé. Les Alsubide restèrent les maîtres de Galdares jusqu'à ce que...........

Et là Patrick refuse que je continue mon billet, au risque de dévoiler tout ou partie du récit de mon enquête.

Publié dans Ma région

Partager cet article
Repost0

Les tours de Cabrenç

Publié le par Jaume Ribera

Comme vous le savez désormais, le récit de ma huitième enquête ne va pas tarder à être annoncé par Patrick, qui en a terminé la rédaction et s'attaque aux différentes relectures (dont la mienne, attentive!👺). Et comme vous le savez aussi, cette enquête nous a conduits, Sylvia et moi, dans les hautes vallées du Vallespir, principalement dans la paroisse de Serralongue et dans ses environs. Mon cher descendant me dit toutefois qu'il n'a pas pu autant qu'il l'aurait voulu y évoquer une curiosité de l'endroit: le château de Cabrenç.

Alors je vais vous en parler moi-même. Quitte à avoir accepté qu'il titre ce billet du nom par lequel votre époque connaît ce lieu, puisque de l'antique château ne restent plus pour vous que les tours, qui du coup ont amené vos contemporains à cette nouvelle appellation.

Et dire que c'est tout ce qui en reste à votre époque!... Quelle tristesse!

Et dire que c'est tout ce qui en reste à votre époque!... Quelle tristesse!

Autant vous l'avouer tout de suite: Sylvia et moi ne nous y sommes pas rendus durant notre séjour en Vallespir. Vous le découvrirez en lisant le récit de l'enquête: l'hiver commençait lorsque nous y étions. Et déjà de fortes chutes de neige nous y ont accueillis. Pour nous qui venions de la plaine roussillonnaise, ce fut presque une découverte. Laquelle nous a empêchés de nous rendre sur les hauteurs des montagnes environnantes.

Car ce château est véritablement situé sur des crêtes très peu accessibles déjà en temps normal, quasiment isolées lorsque le vent des cimes pousse les masses neigeuses à s'agglutiner en hautes congères. Heureusement, le maître des lieux est à la fois seigneur de Cabrenç et seigneur de Serralongue. Et comme les aléas de l'enquête nous ont amenés à nous rencontrer (Patrick, qui lit par-dessus mon épaule (!) surveille que je vous dévoile RIEN de son texte...), le baron Joseph de Sorribes nous a raconté l'histoire de son château.

De ses châteaux, devrais-je écrire. Car il y a là-haut trois constructions distinctes, très voisines les unes des autres, aux fonctions complémentaires.

Imaginez la contruction de tout ceci au XI° siècle, à une telle altitude et sur une étroite crête de montagne

Imaginez la contruction de tout ceci au XI° siècle, à une telle altitude et sur une étroite crête de montagne

Le tout a été construit au XI° siècle (600 ans pour moi; presque un millénaire pour vous). On ne sait pas trop, d'ailleurs, par quel seigneur ni pour quelle raison: il y avait tellement de fiefs antagonistes dans ces montagnes, à cette époque lointaine! Les trois bâtiments sont totalement complémentaires.
1- Le château lui-même, qui sert de lieu de résidence au seigneur et à une partie de son personnel. Passablement austère dans un endroit tellement escarpé, il est néanmoins plutôt confortable et doté d'une chapelle et de hautes salles voûtées. Patrick me dit qu'il n'en reste quasiment rien à votre époque, hormis une partie du plafond de la chapelle. Mais il refuse de me dire pourquoi tout cela a été détruit, en plus des outrages du temps.
2- Au milieu de l'ensemble se trouve la tour qui servait à défendre le château contre une éventuelle agression. Un classique bâtiment carré dans lequel étaient rassemblés gardes et armements.
3- Enfin la seule de ces trois constructions qui soit encore visible à votre époque, une tour de guet comme il en existe tant dans ces montagnes, dont la situation lui permettait d'être en relation visuelle avec ses "jumelles" de Corsavy, Prats de Mollo, Cos, voire Batère. C'est elle qui fait qu'à votre époque vous parlez surtout des "tours" de Cabrenç, et pas du "château"... alors qu'à la mienne, d'époque, elle est la moins importante stratégiquement de l'endroit.

L'histoire du château et de sa possession a longtemps été stable, qui vit s'y succéder les Cortsavi puis les Rocaberti. Depuis un siècle, l'extinction sans descendants de plusieurs branches familiales l'a fait tomber dans la possession des Sorribes depuis deux générations. Je ne sais pas dans quelle mesure les aléas politiques que connaît notre région depuis le changement de nationalité de 1659 affectera cette famille.

Le fait que Joseph de Sorribes et son attachante épouse Theodora d'Ortaffa n'aient qu'une fille ayant survécu laisse craindre de nouvelles chamailleries féodales...

Mais ils sont encore trop jeunes pour qu'on songe déjà à leur succession!

 

Un nid d'aigle longtemps réputé imprenableUn nid d'aigle longtemps réputé imprenableUn nid d'aigle longtemps réputé imprenable

Un nid d'aigle longtemps réputé imprenable

Publié dans Ma région

Partager cet article
Repost0

Et si nous parlions boissons?

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai déjà expliqué, aux débuts de ce blog, que la période de fin d'année que nous tous venons de vivre n'était pas forcément festive à notre époque. Pas spécialement en tous cas. Mais cela ne nous empêche pas de célébrer l'arrivée d'une nouvelle année, forcément porteuse d'espoirs et réparatrice des maux apportés par sa grande sœur défunte. Je ne vous ai pas souvent parlé de cuisine et d'agapes diverses dans ce blog. Cela ne veut pas dire qu'elles ne font pas partie de nos usages.

Pour la cuisine et bons petits plats, ce sera pour une autre fois. Je préfère aujourd'hui évoquer les boissons que nous consommons. Et surtout comment nous les buvons.

Pour l'eau c'est simple: nous en buvons très peu! Pas par intempérance, rassurez-vous! Mais surtout parce que nous sommes rarement certains qu'elle puisse être consommée sans entraîner de désagréments digestifs par la suite. J'ai beau être médecin, je ne me réjouis pas forcément à la perspective de laisser mes contemporains tomber malades. Or si l'on n'a pas la chance d'avoir accès à une source à proximité, il est rare de pouvoir consommer de l'eau en toute sécurité. Au pire elle rend malade; au mieux elle n'est pas bonne. Nombreux donc sont ceux (et surtout celles) qui préfèrent la faire bouillir avec quelques feuilles sèches ou quelques herbes macérées pour donner du goût à la mixture.

Choisir les plantes, les faire fermenter... Chez nous c'est Sylvia qui maîtrise cet art.Choisir les plantes, les faire fermenter... Chez nous c'est Sylvia qui maîtrise cet art.

Choisir les plantes, les faire fermenter... Chez nous c'est Sylvia qui maîtrise cet art.

Pour la plupart d'entre nous, la boisson principale reste néanmoins le vin. Autant profiter des nombreuses vignes situées aux alentours... Je devrais dire "les" vins, tant il y a de façons de le consommer. Tel qu'il est fabriqué à partir des raisins récoltés lors des vendanges, le vin que fabriquent les paysans est souvent âpre, rugueux, voire carrément amer. Lui aussi gagne souvent à être amélioré en goût. Moins souvent avec des herbes ou des feuilles que pour l'eau, quoi que certains alcools s'accommodent bien d'être mélangés à des végétaux. Pour le vin, on utilise plutôt du miel, des sucs, des fruits qu'on laisse longtemps macérer avec le liquide dans les fûts... Certaines recettes, transmises et améliorées de génération en génération, nous viennent de passés souvent lointains, comme toutes les variantes d'hypocras qu'élaborent beaucoup d'entre nous.

Ces différentes sortes de vins, comment les buvons-nous? Nous connaissons, bien sûr, le verre. Mais soignons honnêtes: il est assez rare d'en voir sur les tables, hormis sur celles des plus riches de nos seigneurs. D'une part le verre est cher; et d'autre part les gestes sont parfois maladroits lors des repas. La casse est vite arrivée. Le verre est surtout utilisé pour les bouteilles; et encore celle-ci sont-elles parfois remplacées par de simple gourdes de cuir, directement remplies à partir du tonneau.

C'est donc surtout le ... bois qui est le récipient de prédilection sur les tables de la plupart d'entre nous. Des gobelets tout simples (quelques-uns s'offrent parfois des fantaisies, mais là encore celles-ci sont perçues comme d'inutiles caprices.

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?

Il y a toutefois un outil typique de notre région que nous utilisons aussi: le porró. Un flacon (bel et bien en verre, lui) qui peut servir de récipient comme le ferait une carafe. Mais avec lequel on peut aussi boire, grâce au long bec verseur qui le prolonge.
Bien sûr il faut maîtriser le geste permettant de boire sans tout verser sur sa chemise!...😃

Mais même Patrick, qui en possède un auquel il tient beaucoup, trouvé lors du débroussaillage d'un bois appartenant à son grand-père me dit-il, arrive à s'en servir. Alors!... Quand je vous dis que ce n'est pas trop compliqué!

Et si nous parlions boissons?Et si nous parlions boissons?
Partager cet article
Repost0

Le fer du Canigou

Publié le par Jaume Ribera

Patrick (qui va enfin suffisamment mieux pour reprendre le cours de ce blog!...) me le confirme: notre région a la réputation d'être surtout agricole. Et il paraît que ça ne va pas changer durant les siècles à venir.
Et pourtant nous avons aussi de vraies activités de production que votre époque appelle "industrielles". Du côté de ma cité argelésienne, c'est surtout de l'artisanat que l'on trouve. Mais dans les vallées du Vallespir, plus haut dans la montagne, il en est tout autrement. Grâce à une richesse naturelle qui y est abondante: le minerai de fer.

On l'extraie et le travaille depuis de nombreux siècles. Je devrais même parler de millénaires, me suggère Francisco. Ce qui est certain est que le fer a même laissé des traces dans le nom de certains lieux. C'est ainsi, par exemple, que le village de Mollet, non loin de Prats de Mollo, est devenu Montferrer (la montagne du fer) vers le douzième siècle. Plus au sud, le nom du minuscule village de Lamanère veut tout simplement dire "la mine".

Le fer rouille... D'où la coloration de ces exemples de mineraisLe fer rouille... D'où la coloration de ces exemples de minerais

Le fer rouille... D'où la coloration de ces exemples de minerais

Le minerai se présente en filons noyés dans la pierre environnante. Il faut creuser pour dégager les blocs, où le fer et la roche sont intimement mêlés. Et ce n'est pas un mince travail, croyez-moi! L'entrée des mines est souvent minuscule, il fait une chaleur torride dans les galeries... et elles s'éboulent parfois, engloutissant bien des vies humaines. C'est pourtant un matériau assez fruste qui est acheminé (à dos d'âne, quand ce n'est pas d'hommes à mon époque) vers les nombreuses forges environnantes, où il sera traité afin d'extraire le seul minerai de fer, qui pourra être ensuite confié aux soins des forgerons.

Je n'aurai pas la modestie de vous cacher que notre région est durant mon XVII° siècle en train de diffuser dans toute l'Europe méridionale un type de forge totalement nouveau, que vous connaissez peut-être sous le nom de forges catalanes. Dois-je aller jusqu'à vous en expliquer le principe? C'est passablement complexe. Je ne suis d'ailleurs pas certain de l'avoir totalement compris, même s'il m'a été donné d'en voir plusieurs récemment... Une sombre histoire d'eau qui chute d'une grande hauteur, d'air qui se mélange à cette eau puis qui s'en extrait en créant un courant d'air entretenant un feu...
Très complexe, je vous dis.

Un schéma valant parfois mieux que de longues explications...

Un schéma valant parfois mieux que de longues explications...

Ces forges, vous l'avez compris, étaient des éléments précieux dans la vie des villages tout autour du massif du Canigou. Et rares étaient ceux qui n'avaient pas leur forgeron, qui était un personnage important dans la communauté.

Et qui dit "élément précieux" et "personnage important" est souvent amené à penser aussi "risque de crimes"...
Et qui dit "risque de crimes" pense de plus en plus, dans notre région: "Au travail, Jaume!"

Au grand dam de Sylvia, d'ailleurs...

Publié dans Ma région

Partager cet article
Repost0

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>