Le Call
Je vous ai souvent parlé de monuments ou de lieux qui ont disparu entre mon époque et la vôtre. Pour une fois, je vais vous parler de quelque chose qui n'existe déjà plus de mon temps, mais qui a été important durant des siècles dans Perpignan. Il continue d'ailleurs de l'être, même s'il a complètement changé de nature.
Il s'agit d'un quartier de la ville que l'on appelait le Call. Un nom que l'on rencontre d'ailleurs dans d'autres grandes villes de l'aire catalane (Gérone, Barcelone...). Il était situé non loin de la citadelle, plus précisément en contrebas de la petite colline du Puig, qui fut longtemps extérieure aux remparts de la ville. Les rues y sont étroites, flanquées des hauts et anciens bâtiments des couvents qui s'échelonnent entre la cathédrale Sant Joan et l'église Sant Jaume.
À l'origine, avant le XIII° siècle, ce quartier à l'époque désert et extérieur aux murailles de la ville était le quartier des lépreux. En gros là où on reléguait ceux qu'on ne pouvait pas laisser s'installer au milieu des bien-portants, ne serait-ce qu'en raison du risque de contagion. Est-ce pour cela que le roi de Majorque Jaume I° y laissa s'y regrouper les populations juives qui affluaient dans la région depuis au moins un siècle? Je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit non seulement ils furent autorisés à s'installer à Perpignan, mais grâce à des avantages divers en matière d'acquisition de terres, le roi parvint à les sédentariser. Il favorisa aussi l'implantation du minimum d'installations montrant qu'ils étaient les bienvenus dans la ville: une synagogue, un lieu de bains rituels, un lieu d'enseignement doté d'une bibliothèque. Et s'il fit édifier une muraille entourant le quartier et dotée de portes d'entrée spécifiques donnant sur l'extérieur et sur la ville, ce n'était pas uniquement pour mieux pouvoir surveiller leur communauté. C'était aussi pour la protéger de la vindicte des Perpignanais eux-mêmes, souvent moins accueillants envers ces nouveaux arrivants auxquels tant les religieux que les temps médiévaux prêtaient d'innombrables défauts. Ils eurent ainsi à subir de véritables pogroms dont les motivations étaient la plupart du temps floues, hormis la simple haine de l'autre.
C'est toutefois le XV° siècle qui marqua le déclin de la communauté juive de Perpignan. Les nombreuses épidémies qui frappèrent ce siècle y furent pour beaucoup, bien sûr, car il n'y avait aucune raison qu'elles eussent épargné une communauté plus qu'un autre. Mais pas seulement. On estime en général qu'un millier de personnes vivaient dans le Call. Mais quand arriva à Perpignan la nouvelle du décret par lequel les Rois Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille ordonnaient l'expulsion de tous les juifs vivant sur les terres d'Espagne, il n'y avait plus sur place qu'une quarantaine de personnes qui furent concernées et durent partir.
Désormais dépeuplées, la plupart des maisons du Call furent détruites. Une longue place (baptisée place du Puig) et des bâtiments militaires (une caserne notamment) les remplacèrent, tandis que les quelques rues avoisinantes accueillaient de nouvelles populations ostracisées: mendiants, brigands, prostituées, quelques artisans trop pauvres pour s'installer ailleurs... Un véritable mélange de populations d'origines sociales et ethniques variées, dont Patrick me dit que c'est encore de vos jours une caractéristique de ce quartier.