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Quand Argelès était un port...

Publié le par Jaume Ribera

Bon, je reconnais que ce titre est un peu racoleur!...

En effet, aux temps dont je parle, il n'existait probablement rien là où aujourd'hui se dresse ma cité. Rien hormis, peut-être, quelques fragiles cabanes habitées par des familles de pêcheurs. Même pas des maisons comme celle qui ornait l'article sur Ruscino, hier...
Non.
Des branchages et des roseaux entremêlés, des rondins mal dégrossis pour tout plancher... Pas vraiment quelque chose de confortable. Mais c'était le seul habitat possible, dans cette zone extrêmement humide bordant la mer, qui n'était qu'entrelacs de marécages et de portions de terre dite ferme, mais en fait gorgée d'eau.

Fragile, précaire, l'habitat des pêcheurs-cueilleurs qui peuplaient l'emplacement actuel d'ArgelèsFragile, précaire, l'habitat des pêcheurs-cueilleurs qui peuplaient l'emplacement actuel d'Argelès

Fragile, précaire, l'habitat des pêcheurs-cueilleurs qui peuplaient l'emplacement actuel d'Argelès

Pourquoi une telle humidité? Parce que précisément cette mer, notre mer Méditerranée, avançait bien plus profondément à l'intérieur de la plaine roussillonnaise aux temps les plus anciens. Je vous parle là d'un temps qui se situe environ deux millénaires avant notre ère.

Je ne sais tout cela, bien sûr, qu'après de longues conversations avec Francisco, qui lui même l'a su par les multiples échanges de lettres qu'il a eus avec des savants de notre époque, ayant eu accès aux riches textes antiques.
Vous le savez, j'ai la chance d'avoir pour ami cet homme curieux de toutes les sciences, et qui connaît nombre des grands esprits de notre temps... Et comme il me fait souvent partager les résultats de ses échanges avec eux... J'en sais bien plus que ce que devrait connaître un simple médecin roussillonnais...

Donc, la mer jadis ne se contentait pas, comme aujourd'hui, de border un long ruban rectiligne de sable, une fois terminées les aspérités rocheuses des contreforts de la montagne.
Si elles avaient existé, les murailles d'Argelès auraient probablement été directement battues par les flots. Elne n'était même pas à un quart de lieue de ceux-ci, tout comme Castell Rossello dont je vous parlais hier (Patrick me traduit pour vous: entre un et deux kilomètres; vous comprendrez mieux, me dit-il...).
Et surtout, surtout, les vastes étangs longeant la côte, près de Saint Nazaire et Canet, puis dans la Salanque jusqu'à Leucate n'existaient pas: tout cela était recouvert par la mer!
Quant aux trois fleuves qui traversent le Roussillon, ils étaient bel et bien là, mais leurs embouchures rendues plus proches par la diminution de la plaine augmentaient le risque d'inondations.

Une géographie bien différente de cette que nous connaissons aujourd'hui

Étonnez-vous, après cela, que les populations les plus anciennes de notre région, dont les Sardones furent les premiers vraiment structurés, se réfugièrent souvent dans le massif montagneux.
Les Albères, même au plus profond de leurs vallées encaissées, leur procuraient au moins un abri contre les caprices de ce vaste et envahissant espace maritime.

Qui finalement, à mon époque, n'est pas encore réellement apprivoisé...

Publié dans Ma région

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Ruscino

Publié le par Jaume Ribera

Autant vous l'avouer: j'ai eu un remords, hier, après avoir envoyé à Patrick le billet sur les Sardones, qu'il a ensuite mis en ligne (quelle expression curieuse, pour moi!...) à votre destination.
En effet, j'y ai écrit que ce premier peuple de notre région avait fondé deux cités importantes, les ancêtres d'Elne et de Port-Vendres.
Et je n'ai pas cité Ruscino.
Francisco, quand il a lu mon texte, m'en a fait le reproche car, m'a-t-il dit, Ruscino fut très vraisemblablement la capitale des Sardones. Puis, après un moment de réflexion, le sourcil froncé, il a marmonné: "Cela dit, c'est une hypothèse qui était très contestée déjà aux temps des Romains. Alors, tu as peut-être eu raison..."

Donc, au cas où ce serait malgré tout un oubli anormal de ma part, je vais vous parler de Ruscino. À mon époque, le lieu s'appelle Castell Rossello; Château Roussillon pour nos nouveaux maîtres français. Ce toponyme existe toujours à votre époque, même s'il a été englobé par Perpignan.

Le lieu est ancien, au peuplement attesté plusieurs siècles avant notre ère.
Mais attention: quand je dis "peuplement", je ne veux bien sûr pas dire "ville". Ni même "village", au sens que ce mot porte désormais, pour vous comme pour moi. Le peuplement dont il s'agit consistait en quelques cahutes en bois ou en roseaux, dans un paysage de marécages et d'étangs s'étendant jusqu'à la mer.

Reconstituée à partir d'une exceptionnelle découverte archéologique sur place, la maison usuelle des premiers habitants de Ruscino

Aussi étrange que cela paraisse, Ruscino fut probablement pour ses premiers habitants sinon un port, du moins un lieu d'habitations côtières.

C'est toutefois sous l'occupation par Rome qu'elle devint une cité dominatrice. De nombreux colons romains y édifièrent de somptueuses villae, et elle supplanta l'antique Illiberis. Un majestueux forum, aux dimensions impressionnantes, fut également construit, qui témoignait de l'importance de l'endroit.

Imaginé à partir de son emplacement au sol, l'impressionnant forum

Ce basculement entre les deux cités se produisit probablement car Ruscino était mieux située sur la Via Domitia, qui était la grande voie de circulation des hommes et des marchandises reliant l'aire italienne à l'espace ibérique. Mais un tremblement de terre fatal, au tout début de II° siècle, emmena toutefois les Romains à refaire confiance à Illiberis. Même si les Wisigoths, puis les Arabes, et enfin les tout premiers comtes de Roussillon choisirent ensuite Ruscino pour résidence principale, tout en gardant sa fonction administrative à sa grande rivale.
Ce sont ces comtes qui édifièrent d'ailleurs le premier château, maintes fois remanié, qui fit irruption dans le nom du lieu au tournant du premier millénaire.

Le déclin de Castell Rossello fut néanmoins inéluctable au fil des siècles suivants. Perpignan était née entre temps, et n'a cessé de se développer depuis, au détriment de nombreux sites plus anciens de ses alentours. Il ne reste plus rien, à mon époque, de cette cité qui fut un brillant habitat aux temps de l'Empire romain. Plus rien que la tour médiévale construite à l'époque où le château aujourd'hui disparu était une place forte militaire.
Mais Patrick me dit que votre époque, qui dispose de moyens que la mienne n'a pas (et d'une volonté que mes temps n'ont pas, non plus), a permis la mise au jour de nombreux vestiges de l'antique Ruscino.

Les traces archéologiques de l'habitat romain à Ruscino

Presque tous Romains.

Et pas Sardones...
Je le savais bien!...

Publié dans Ma région

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Nos plus lointains ancêtres

Publié le par Jaume Ribera

En ces temps où, paraît-il, vos contemporains débattent beaucoup sur ce que vous appelez "le peuple catalan", permettez-moi de vous rappeler que cette appellation, et l'utilisation politique qui en est faite à votre époque, est assez étrange. Et même si à mon époque, l'appartenance à un ensemble qui ne soit ni Français, ni Espagnol a un certain sens, à cause des décennies de guerres qui nous ont amenés à rejeter les deux allégeances, on ne peut pas dire que nous sommes ce que vous appelez "une nation". J'ai d'ailleurs eu du mal à comprendre exactement ce que signifie ce terme, quand Patrick me l'a expliqué; on ne l'emploie pas, durant mon dix-septième siècle.

L'idée catalane, en fait, n'est pas une réalité ethnique. Du moins pas aux origines historiques de ma région. Ceux qu'on appelle les Catalans ne sont pas distincts des populations qui les entourent. Et d'ailleurs, bien malin qui pourrait énumérer (et il se tromperait lourdement) les éléments différenciant les Catalans des autres populations de l'ensemble ibérique.

Ce qui fait notre spécificité, avant tout, c'est la particularité linguistique. La langue que nous parlons vient tout simplement du latin. Pas du latin savant, celui des élites romaines, mais d'un latin plus rudimentaire, celui des marchands, des soldats, des marins... de tous ceux que leurs déplacements ont conduits dans les provinces de l'Empire puis de l'aire de civilisation latine, même aux temps wisigothiques. Cette langue est bien sûr imprégnée d'espagnol (aragonais et castillan mêlés), mais aussi de sarde, d'occitan, de provençal... On y trouve aussi quelques restes du parler des Wisigoths. Et même, paraît-il, quelques mots d'origine arabe, puisque les Sarrasins ont fait irruption chez nous durant quelques décennies avant d'en être chassés par Charlemagne.

Quoi qu'il en soit, c'est la langue catalane qui a peu à peu contribué à cimenter notre population, et pas un quelconque particularisme ethnique ni même politique. On ne voit pas apparaître d'entité politique qu'on pourrait rapporter, d'une façon ou d'une autre, à ce qu'on appelle aujourd'hui la Catalogne, avant l'épopée de Guifré el Pelos, petit seigneur local de Ria, dans le Conflent, qui en quelques années devint comte à Barcelone, et à ce titre premier "souverain" catalan. C'était durant le dernier quart du neuvième siècle.

Et avant, alors?

Eh bien avant, les habitants de notre région étaient un mélange extrêmement complexe de peuplades ibères, fortement latinisées, avec d'importantes strates gothiques (surtout des Wisigoths, mais pas uniquement), grecques, carthaginoises, et probablement aussi celtiques. Les innombrables brassages qui eurent lieu lors des longues périodes d'invasions successives laissèrent autant de traces, plus ou moins importantes, de leur passage.

Francisco m'a un jour expliqué que les premières populations vivant dans notre Roussillon avant les conquêtes romaines, que nous pouvons donc considérer comme nos ancêtres les plus anciens, ont été les Sardones (ou Sordons). Ils étaient déjà présents un millénaire avant notre ère, et connurent eux aussi plusieurs métissages!...

Quelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtresQuelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtresQuelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtres

Quelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtres

Certains textes latins très anciens les citent, mais sans vraiment insister sur leurs origines (Patrick me dit d'ailleurs que vous n'en savez pas beaucoup plus sur eux, plusieurs siècles après mon époque). Ils nous apprennent toutefois que nous leur devons au moins deux cités importantes, qui existent toujours: Eliberris, devenue Illiberis sous les Romains, et qui n'est autre que la cité d'Elne; et le port de Pyrénée, Portus Veneris sous les Romains, c'est-à-dire Port-Vendres pour nous désormais.

Dans ces textes anciens, il n'est bien sûr pas question d'Argelès... Il n'y avait sûrement rien, là où existe aujourd'hui ma petite cité. Quelques cabanes de paysans ou pourquoi pas de pêcheurs... Car il semble que les étendues d'eau étaient bien plus présentes, encore, qu'à mon époque.
J'en veux pour preuve cette description de la région qui nous vient d'Avienus, poète latin du quatrième siècle avant notre ère, qui dans ses Ora maritima décrivit les côtes méditerranéennes, dont les nôtres. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire découvrir ma terre roussillonnaise, telle qu'elle apparaît dans les vers d'Avienus.

Source: http://www.arbre-celtique.com/encyclopedie/sordes-sardones-790.htm

Publié dans Ma vie

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À table!...

Publié le par Jaume Ribera

Là encore, le récit que me fait Patrick de la façon dont vous voyez notre époque me paraît assez éloigné de ce que nous vivons réellement.
Non! Hormis les périodes de disette survenant suite aux caprices du climat ou aux événements guerriers, nous ne manquons pas de nourriture, et nous ne nous contentons pas de quelques raclures desséchées avalées à la va-vite avant de retourner au dur labeur...
Quant aux nobles et aux riches, ils ne se vautrent pas dans d'interminables agapes, sauf lors de cérémonies particulières.

En fait, la nourriture est là pour nous donner des forces, pour aider les plus jeunes à grandir, les plus âgés à ne pas péricliter, et tous à affronter les maladies et les rigueurs du temps. Nous mangeons pour vivre, pas l'inverse.
Et il faut croire que nous mangeons suffisamment, sinon vos générations ne seraient pas en train de me lire, car elles n'auraient pas pu exister.
S'il faut vraiment chercher une coupure au sein de la société catalane de mon temps, sur ce sujet de l'alimentation, il ne faut pas la chercher entre les riches et les pauvres.
 

Quelque soit le milieu social, le repas réunit toute la communautéQuelque soit le milieu social, le repas réunit toute la communauté

Quelque soit le milieu social, le repas réunit toute la communauté

Mais plutôt entre ceux qui vivent dans la plaine du Roussillon, et tous ceux qui vivent dans l'arrière-pays.
Lors de mon enquête sur le meurtre du jeune novice, à Serrabona, j'ai été surpris par l'abondance des mets que nous a servis Pau Cadell, dans son mas de Lavall. Certes, il est pagès, et occupe une position de notable au sein de sa communauté. Mais il ne vit pas pour autant dans l'aisance, j'ai pu le constater sur place. Pourtant, sa table était abondante et variée... Et lorsqu'à la tombée du jour j'errais dans Espira à la recherche de Sylvia, les effluves de véritables repas émanaient de la plupart des maisons du village, même les plus pauvres.
Parce que dans les forêts, les rivières, les vergers des environs, les récoltes fournissent souvent plus que ce qui sera vendu sur les marchés. L'ordinaire familial est donc plus varié, et plus conséquent.

Dans la plaine, en revanche, les cultures sont moins diversifiées. On y produit quelques céréales, de la vigne, et pas grand-chose d'autre... Dans ce contexte plus restreint en produits, la base de la nourriture reste le pain. Tranché avec quelques charcuteries, ou le plus souvent trempé dans des soupes où légumes et racines sont plus fréquents que viandes et graisses, que l'on consomme néanmoins de temps en temps.
Le pain est fabriqué en général à la maison, avec la farine moulue par le moliner (meunier). Un personnage essentiel, celui-ci; il faudra que je vous en parle!... Un pain solide, roboratif, presque bourratif, qui nous apporte de l'énergie, mais qui aussi cale nos estomacs en chassant la sensation de faim.

La large miche de pain, qui a l'avantage de se conserver plusieurs jours sans devenir dure

Cela dit, c'était surtout il y a deux ou trois siècles qu'il n'y avait rien d'autre de sérieux à manger. Désormais, avec les légumes pas assez beaux pour être vendus, avec quelques morceaux de viande (pas toujours maigre, sauf durant les périodes où la liturgie catholique l'exige), avec les fruits des petites parcelles de terre que possèdent ou qu'utilisent presque toutes les familles, et surtout avec les volailles et les œufs du poulailler, les ménagères élaborent de vrais plats venant compléter la traditionnelle soupe.

Nos repas, de plus en plus, se composent désormais de deux plats principaux. Mais attention! Nous ne faisons qu'un seul vrai repas par jour. Le reste du temps (même en milieu de journée, alors que votre déjeuner est un repas à part entière), nous nous contentons d'en-cas composés de tranches de pain (encore!) frottées d'ail ou de saindoux. Nul besoin de quoi que ce soit d'autre avant que tout le monde se réunisse enfin pour le repas collectif, pris à la tombée du jour juste avant de se coucher.

Le repas de toute la maisonnée, en fin de journée

Dans des textes à venir, je vous reparlerai du repas, moment essentiel de la vie de famille. Je vous raconterai aussi quelques-uns des plats les plus appréciés de notre cuisine (plusieurs sont arrivés, embellis et sophistiqués, jusqu'à vous). Et bien sûr, je vous parlerai des boissons qui les accompagnent.

Croyez-moi, j'arriverai à vous faire saliver!...

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Le moment essentiel des fiançailles

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai expliqué, il y a quelques jours, que les mariages de mon époque sont moins artificiels que veut le conserver la croyance qui est parvenue jusqu'à vous. Cela dit, ils ne sont pas non plus la décision et l'affaire des seuls jeunes amoureux (ou pas!...). Même si leurs inclinations personnelles comptent dans le choix final, les familles sont également très présentes.

Car le mariage, c'est aussi un engagement devant la communauté. Celle de la religion, nous y reviendrons en parlant de la cérémonie elle-même. Mais aussi (et je dirais presque "mais surtout", à ce stade) celle de la cité, du village, des voisins...

Ne le cachons pas: le mariage, à mon époque, c'est au moins autant une affaire de patrimoine familial qu'une affaire personnelle entre deux êtres.

La négociation est rude, mais les futurs mariés y participent

Il est conclu au terme de longues négociations, de longs pourparlers. Lorsque ceux-ci sont bien avancés, même s'ils ne sont pas encore totalement terminés, il faut éliminer le risque de brusques changements venant de l'extérieur. En un mot, et pardon de le dire de façon peut-être un peu froide, il faut faire savoir de façon solennelle qu'entre untel et unetelle est envisagée une union, et donc qu'ils ne sont plus "disponibles" sur le grand marché matrimonial.

C'est le but, essentiel, de la célébration des fiançailles. Il ne s'agit pas, comme souvent à votre époque, de permettre aux deux familles de faire connaissance: dans nos petites communautés villageoises (c'est moins vrai dans les grandes villes, mais hormis Perpignan il n'y en a pas par chez nous), tout le monde se connaît déjà; plus ou moins selon les affinités, mais suffisamment pour qu'on ne soit pas en terrain inconnu.
Il ne s'agit pas non plus d'un engagement religieux; pas encore. Les fiançailles sont parfois, chez certains, rendues plus solennelles par une messe, mais ce n'est pas une nécessité.
Il s'agit d'une promesse, d'un engagement social. À la suite des fiançailles, les futurs mariés ne peuvent plus se considérer, et ils ne peuvent plus être considérés par les autres, comme libres de leur engagement futur. Ils ne sont pas encore matrimonialement unis, ils ne mèneront pas encore une vie commune (quoique...), mais ils se sont promis l'un à l'autre pour un avenir plus ou moins proche. Et ils l'ont fait savoir à toute la communauté.

D'ailleurs, il arrive fréquemment que dans l'acte paroissial que le curé rédige lors de la cérémonie de mariage, il rappelle cette étape des fiançailles.

La formule rituelle qu'on trouve parfois: "Après les publications et les fiançailles ..."

Je vous entends déjà me répondre: et les ruptures de fiançailles, alors? Elles existent, non?
Bien sûr!... C'est assez rare, mais cela arrive.
Pourquoi? Chaque cas est différent et il serait absurde de prétendre qu'il y a une raison et une seule aux ruptures de fiançailles qui se produisent. Ce qui est certain, c'est que des fiançailles rompues entraînent forcément réparation. Et je parle de réparation financière. Souvent non négligeable.
Car au-delà des deux ex-futurs mariés, c'est la situation des familles qui est mise en cause par une rupture de fiançailles. Aux yeux de toute la communauté, un clan familial se trouve délaissé par un autre, malgré l'engagement qui avait été pris. Forcément, et sans doute avec excès mais c'est ainsi, cela est interprété comme un affront, une tache à l'honneur familial. On se demandera forcément, au sein de toutes les autres familles, quelle est la vraie raison de ce revirement soudain. Et celle-ci ne peut, bien sûr, qu'être négative pour la réputation du groupe délaissé. Surtout si la rupture vient du fiancé ou de sa famille: délaisser sa fiancée, c'est une sorte de répudiation avant l'heure!...

C'est pour éviter cela que les fiançailles se préparent avec autant de soin que le mariage lui-même...

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La Mare de Déu de la Consolació

Publié le par Jaume Ribera

Encore un ermitage!

Oui, je sais, je vous ai déjà plusieurs fois parlé de ces lieux voués à l'érémitisme, courant socio-religieux important dans tout le pays catalan, et qui reprend de la vigueur durant mon siècle. Un courant qui est aussi une réponse au discrédit d'une église catholique traditionnelle, qui s'est perdue depuis plus d'un siècle dans des luttes internes (contre le schisme protestant, entre différentes factions autant politiques que religieuses, durant les nombreuses guerres du siècle...) qui l'ont éloignée de la population.
Parce qu'il vit au sein de la paroisse, et parce qu'il n'est pas enfermé comme le curé dans les rituels des cérémonies quotidiennes, l'ermite est quelqu'un d'important au sein de notre société. Que tout le monde connaît, sollicite, protège...

Toujours porteur de sa capelleta, ensemble d'images pieuses et de scènes liturgiques

C'est pour cela que de nombreux lieux de prière, plus ou moins isolés, se multiplient dans toute la région.
La Mare de Déu de la Consolació est l'un de ces lieux. Les Français l'appellent Notre Dame de la Consolation, mais c'est un détail: l'endroit, depuis plusieurs siècles, est voué à la Vierge Marie. Cela fait en effet longtemps que sur les traces d'un vieux temple païen datant d'avant le christianisme, dit-on, a été édifié un petit oratoire, que l'on trouve régulièrement cité depuis le XV° siècle comme abritant un ermite. Pas de façon permanente, mais par intermittence. Jusqu'à ce que l'endroit se développe, de mon temps, et accueille une présence plus régulière.

Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort anciennePlusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort anciennePlusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne
Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne

Plusieurs fois rénovée, cette implantation spirituelle est fort ancienne

L'ermitage est situé légèrement au-dessus de Collioure, au bas de la pente dominée par la tour de Madeloc, dans un des rares endroits vraiment boisés de cette montée assez aride. La fraîcheur du lieu est favorisée par les quelques ruisseaux dévalant la pente, ici ou là, souvent à partir de fontaines isolées. Proche de la mer, et surtout de la cité de Collioure où les ermites peuvent aller se ravitailler, le lieu est propice au repos spirituel et à la méditation, suffisamment à l'écart des grandes voies de circulation pour que seuls y viennent ceux qui veulent vraiment y séjourner, ou chercher un réconfort.

Puisse ce havre de paix perdurer encore plusieurs siècles, à l'abri des agitations du moment!..

Publié dans Ma région

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Qui choisit en vue du mariage?

Publié le par Jaume Ribera

Dans la société catalane de mon époque, le mariage représente plusieurs choses.
Il est bien sûr (et avant tout) l'union de deux êtres pour la vie.
Mais il est aussi un engagement spirituel devant l'ensemble des croyants, ceux-ci s'incarnant en l'occurrence dans la communauté villageoise ou dans celle de la cité.
Il est également le résultat d'une négociation patrimoniale, parfois longue, entre deux familles.
Il est enfin, ne l'oublions pas, le préalable obligé à l'émergence d'une nouvelle famille, destinée à accueillir les enfants qui naîtront de l'union projetée.

Pour toutes ces raisons, vous devinez que les deux futurs époux ne sont pas les seuls, loin de là, qui ont leur mot à dire quand commence à se dessiner le projet d'une union. Même s'ils sont, a priori, les premiers concernés.
Cela dit, au risque de vous surprendre, ils ne sont pas mis à l'écart dans les tractations familiales et sociales précédant leur mariage. Patrick m'a parlé de la conviction de votre époque que les mariages de mon XVII° siècle sont tous arrangés entre les pères, et ne tiennent aucun compte des sentiments des deux futurs époux. Cette croyance est assez largement vraie pour la haute société. Ainsi, lorsqu'il est passé par Perpignan, au printemps 1660, le roi Louis XIV se rendait à son mariage avec une princesse espagnole qu'il n'avait jamais rencontrée auparavant.

Entre Louis XIV et Marie Thérèse d'Autriche: un mariage qui donna lieu à bien des négociations

Mais il n'en est rien dès qu'on ne parle plus des milieux de la noblesse.
D'abord parce que garçons et filles, nous nous connaissons tous; depuis notre plus tendre enfance quand nous sommes du même village; depuis pas beaucoup plus tard quand nous sommes de paroisses différentes. Cela fait donc des années que les affinités se sont développées, et que les parentèles les ont scrutées et constatées. Elles en tiennent compte, quand il s'agit de marier l'un avec l'autre. Et les futurs mariés eux-mêmes savent orienter le choix familial, en ne cachant pas leurs inclinations.
C'est vrai, des stratégies matrimoniales existent souvent. En tous cas lorsqu'il y a des biens en jeu. Mais ces stratégies visent seulement à l'union avec telle ou telle famille. Quant à savoir qui choisir au sein de la famille, c'est accessoire...

L'accueil au sein de l'autre famille: un moment important dans le long chemin qui mène au mariage

Les futurs mariés de mon époque interviennent d'autant plus dans le choix matrimonial que nous ne sommes plus très jeunes, au moment du mariage.
Les garçons se marient en moyenne vers 28-29 ans (je sais, je suis en retard, moi qui ai dépassé mes 30 ans...); les filles vers 25-26 ans. Et plus on avance dans les fratries, plus l'âge au mariage augmente (il faut du temps en effet pour rassembler une nouvelle dot).
C'est lorsque le niveau social s'élève, ou lorsqu'on se retrouve dans les grandes villes, surtout au sein des familles d'artisans, que l'âge au mariage baisse un peu.
Ou alors, lorsque des enfants sont orphelins, et qu'en les mariant, on tente de faire gérer leurs biens par une autre famille. Dans ces cas, c'est vrai, on peut trouver des filles mariées dès 12 ou 13 ans, des garçons qui convolent dès 14 ans... Mais c'est assez rare.

Lorsque le choix est fait, lorsque futurs mariés et familles sont d'accord, les discussions pour fixer les modalités pratiques peuvent commencer. Pas pour la cérémonie, pas encore.
Pour le partage des biens, la fixation de la dot, la détermination des droits que l'épouse conservera sur ses biens, ce que le mari pourra exiger de sa future belle-famille...

Mais c'est une autre étape, que nous évoquerons dans un prochain billet.

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Le château des rois de Majorque

Publié le par Jaume Ribera

Il y a quelques temps, je vous ai parlé de la citadelle de Perpignan. En son centre, se trouve l'antique château que Jaume II de Majorca fit édifier lors de son installation à Perpignan, dont il faisait sa nouvelle capitale. C'était durant le dernier quart du XIII° siècle.

Ce château (dont Patrick me dit que vous l'appelez palais, à votre époque) est désormais entouré de bâtiments austères et sans charme, à la vocation exclusivement militaire. Le château lui-même vieillit lentement, sans recevoir autant de soins que son prestigieux passé le mériterait. Et il se dégrade, forcément.
D'autant qu'il n'a pas été épargné durant le terrible siège de Perpignan, il y a une vingtaine d'années, lorsque les canons français le pilonnaient quotidiennement.
La rumeur se confirme en ville, selon laquelle le gouverneur de Noailles serait en train de pousser certains ministres du Roi, à Paris, à le faire restaurer pour lui redonner son efficacité militaire passée.
À l'origine, le château avait été construit pour être à la fois une résidence royale, avec ses logements et ses jardins privés, et un lieu de pouvoir, avec sa salle du trône, sa grande salle d'apparat, sa chancellerie abritant l'administration royale, et bien sûr la vaste cour d'honneur, au centre de l'édifice. Sans oublier naturellement les lieux de prière: petits oratoires dans les logements privés, et deux vastes chapelles superposées largement ouvertes sur la cour d'honneur.

Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction
Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction

Fonctionnel et agréable à vivre, lors de sa construction

Le tout, selon des témoignages écrits datant de l'époque, était magnifiquement décoré, inspiré par l'art oriental qui fascinait tant les princes européens à l'époque.

C'était la partie visible du château. Celle qui devait d'autant plus impressionner les invités de Jaume II que son pouvoir était fragile, car contesté par son frère, le roi Pere III d'Aragon. Et lorsque la campagne menée contre ce dernier par Jaume II et le roi français Philippe III le Hardi échoua, et qu'il fut menacé jusque dans sa capitale, c'est par les souterrains secrets de son château que Jaume II put s'enfuir. Ces souterrains, bien moins avenants et agréables que le reste, servent désormais de prisons, de cachots, d'entrepôts... J'ai eu l'occasion de m'y rendre pour interroger un prisonnier, durant l'enquête sur le fanal de Madeloc. Brrrrrr! Je plains ceux qui s'y sont trouvés logés malgré eux...
La rumeur veut que de ces souterrains, quelques étroits boyaux permettent de s'échapper en dehors de la ville. C'est ce que fit Jaume II, qui put ainsi se réfugier au château de Laroque. J'ignore ce que les ingénieurs français qui viendront peut-être consolider et réaménager toute la citadelle feront de ces souterrains... Ils sont si sinistres!

Je préfère que vous conserviez ce souvenir du château!

Le château des rois de MajorqueLe château des rois de MajorqueLe château des rois de Majorque

Publié dans Ma région

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Enfant né "de pares incognits"

Publié le par Jaume Ribera

Elles sont hélas assez fréquentes, ces naissances d'enfants abandonnés sitôt leur premier souffle par celle qui les a mis au monde. Laquelle, le plus souvent, avait été auparavant délaissée par celui qui l'avait mise enceinte.

Mon époque est en effet profondément marquée par la morale catholique. Un enfant ne peut et ne doit naître que dans une famille dotée d'un père et d'une mère mariés ensemble, et dès lors fondés à avoir des enfants issus de leur union. Ne soyons pas hypocrites: nous savons tous, surtout dans les petites communautés où les ragots se colportent vite, quand tel ou tel couple n'a en réalité de vie commune qu'en pure façade, et que leurs enfants n'ont pas forcément été conçus par eux. C'est une fausse idée de croire que l'emprise religieuse sur notre société va jusqu'à totalement conditionner tous nos comportements personnels.

Ce qui est vrai en revanche, c'est que mes contemporains sont souvent très durs avec ceux (et surtout celles) qui n'ont pas su préserver les apparences sociales.

Chassée de chez elle, à cause de la honte d'un enfant né hors mariage


Que des hommes et des femmes de mon temps aient des relations intimes en dehors de tout lien matrimonial est assez répandu. Et cela ne gêne personne, dès lors que cela reste discret, et finalement confiné au secret de l'alcôve ... ou d'un bosquet isolé dans les champs.
Mais qu'un enfant issu de ces étreintes s'annonce, et c'est là que les difficultés commencent! Pour la (future) mère, c'est toute sa vie qui risque d'être brisée.

Rares en effet sont les cas où le père de l'enfant à naître "accomplira son devoir", selon l'expression habituelle. C'est-à-dire qu'il l'épousera, avant ou après la naissance, après avoir consigné cela devant notaire, dans un contrat en bonne et due forme.
On imagine, dans ce cas, les longues négociations avec le curé du village qui devra marier un couple qui, très visiblement, n'a pas attendu sa bénédiction pour "consommer l'union"...

Le plus souvent, toutefois, la jeune femme séduite mettra tout en œuvre pour "faire passer" le bébé (sous la pression, d'ailleurs, de son entourage). J'ai été confronté aux drames que cela peut occasionner dans mon enquête sur Les anges de Saint Genis. Et Francisco comme moi avons plusieurs fois eu à constater le décès soudain de jeunes femmes célibataires visiblement exemptes de la moindre maladie... Mais qui portaient en elle le fruit d'une amour imprudente... sur lequel nous ne disons rien, bien sûr, afin de préserver leur souvenir dans leur famille, si par extraordinaire personne n'avait été mis au courant.

D'autres n'auront pas voulu, pas su ou pas pu mettre un terme prématuré à leur grossesse et finissent par accoucher. Durant les derniers mois, dans les campagnes en tous cas, elles se sont cachées (ou l'ont été dans la maison familiale). Pour que leur changement physique reste le plus secret possible.
Pour qu'on ne sache pas.

Toujours préserver les apparences!...

Et un jour, l'enfant naît. À mon époque, il est rare qu'il soit accueilli et accepté chez la mère. Cela arrive, bien sûr, mais si peu!
La plupart du temps, ces enfants sont abandonnés. Sur le parvis de l'église, près de l'autel, dans les niches (on les appelle les tours d'abandon, ou tours d'hospices) aménagées dans la muraille d'une église ou, plus souvent, d'un couvent. Toujours près d'un lieu religieux, sous la protection duquel on place le bébé, enveloppé de quelques langes. Dans un endroit suffisamment discret, en tous cas, pour que l'enfant y soit abandonné sans que cela se sache, mais suffisamment fréquenté pour qu'on le trouve vite.

Un dernier baiser, avant la séparation définitive


Son destin, dès lors, est tout tracé: il sera amené à l'Hospice des enfants trouvés, comme tant d'autres bébés. Il y en a un dans toutes les grandes villes, et les religieux qui les gèrent accueillent plusieurs dizaines d'enfants par mois. Ils enverront le bébé en nourrice dans un village des alentours, et s'il vit (nombreux sont ceux qui meurent durant leurs premières semaines) le bébé sera plus ou moins accueilli dans une famille, qui l'amènera tant bien que mal jusqu'à l'âge adulte.

Quant à la maman, il ne lui reste qu'à vivre avec cette déchirure secrète le restant de sa vie...

Quoi que lui réserve celle-ci...
 

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La fin de la plage de sable

Publié le par Jaume Ribera

Patrick me dit qu'à votre époque, et depuis longtemps, cet endroit s'appelle Le Racou. Et il s'étonne que ce nom n'éveille rien pour moi. Et pourtant!...

Comment lui faire comprendre que le lieu, en mon milieu du XVII° siècle, est totalement désert et inhabité? Je vous l'ai déjà dit: la mer n'est pas une amie, pour nous Argelésiens. Et je fais figure d'original, si ce n'est plus, avec mon habitude des longues promenades sur le sable, là où les vagues viennent mourir doucement.

Entre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabitéEntre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabité

Entre l'embouchure de la Massane et les premiers rochers des Albères... Un bout du monde alors inhabité

Alors donner un nom à ces lieux!... Ce n'est même pas la peine d'y songer...

Et pourtant, il me parle cet endroit. Je reconnais même qu'il est assez cher à mon cœur. Souvent en effet, au retour d'une visite dans un des rares mas parsemant cette fin de la côte sablonneuse, je viens passer quelques minutes de rêverie, à regarder les flots mouvants et l'horizon changeant.

Mes moments préférés sont ceux où un temps orageux arrive de la mer, au large, et où je reste assis sur un des rochers s'avançant dans les eaux. Au-dessus de moi, de lourds nuages noirs s’effilochent et se bousculent avec violence sous la force du vent. Ils montent lentement de l’horizon et roulent de plus en plus vite vers le rivage.
Au ras des flots, là où je suis assis, les embruns cinglent et trempent le tissu de mes vêtements. De rares mouettes tentent désespérément de se diriger vers l’abri d’un rocher, ne parvenant qu’à se poser sur l’eau, étonnamment malhabiles.

J'adore ces moments où la mer perd toute cohérence, où l’écume parsème d’innombrables taches blanches l’immensité sombre, et où les vagues ballottent à l’infini ce qui est tombé par hasard dans les flots.
C'est souvent dans ces circonstances que je régénère mon esprit, en offrant mon visage au souffle du vent, peu soucieux de l’eau qui dégouline de mes cheveux jusque dans mon cou. Et peu importe, alors, si Francisco doit me reprocher ensuite ce qu'il appelle mes folles imprudences et si sa fidèle Eulalia se plaint de l'état de mes vêtements trempés.

La mer se déchaîne sur le RacouLa mer se déchaîne sur le RacouLa mer se déchaîne sur le Racou

La mer se déchaîne sur le Racou

D'après ce que me dit Patrick, l'endroit a lui aussi beaucoup changé depuis mon époque. On y a construit; on y habite, parfois à l'année...

Mais ce qui me rassure, même s'il est dommage que certains doivent en souffrir, c'est que la force des orages et de la mer, régulièrement, se rappelle au bon vouloir des hommes.

Difficile, en effet, de domestiquer la nature, en cet envoûtant bout du bout du monde!

Publié dans Ma région

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