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ma vie

Guifré el Pelos: le premier chef catalan

Publié le par Jaume Ribera

Cela fait un moment que je vous promets de vous parler de celui qui est considéré comme le fondateur de ce que vous appelez à votre époque la nation catalane...

Celui qui, veut la légende, a indirectement fondé notre drapeau: le roi franc de l'époque Charles le Chauve aurait voulu remercier la bravoure d'un chef local ayant combattu à ses côtés en barrant de quatre bandes ensanglantées un bouclier d'or pour en faire son blason. Oublions le fait que le roi Charles n'a jamais mis les pieds dans notre région; oublions aussi le fait qu'il fallut attendre deux ou trois siècles supplémentaires pour donner des armoiries aux familles nobles!... La légende est belle!

Ce qui est vrai, en revanche, est l'incontestable ascension d'une famille conflentoise parmi toutes celles sur lesquelles le pouvoir carolingien s'appuya pour réorganiser la région. Qui est-elle? Pas de patronyme, bien sûr, à l'époque. Juste un lien avec la terre d'origine. En l'occurrence, Arria, devenu depuis Ria, à proximité de Prades, la capitale du Conflent.

Il ne reste rien, à votre époque, de ce château où tout démarra. Pourtant, il est toujours débout de mon temps!

Le seigneur du lieu, depuis 820 environ, était un certain Sunifred, qui cumulait les titres de comtes d'Urgell et de Cerdaña, avant d'étendre ses possessions à Gerona, Barcelone et même Narbonne à partir de 844. Il était issu d'une famille wisigothique locale, sans qu'on puisse déterminer avec certitude de laquelle. Mais peu importe. Car il est probable que toutes ces familles étaient généalogiquement très liées. Entre autres enfants, Sunifred avait un fils plus actif que les autres (qui restèrent dans son ombre durant toute leur vie): Guifré.

Un vrai chef guerrier, né aux alentours de 837-838 (il n'était pas l'aîné). Un combattant, qui ne tarda pas à regarder bien au-delà de son village d'origine, puisqu'on le retrouve à la tête des fiefs de son père dès 870, puis principal seigneur de toute la Catalogne dès 878. Pendant presque vingt ans, Guifré organisa l'ensemble de ses possessions, au début pour le compte des rois carolingiens, puis de plus en plus pour celui de sa dynastie familiale.

Il permit en effet la renaissance socio-économique d'une région qui avait été longtemps dévastée par les incursions sarrasines et par les révoltes locales. C'est notamment à son œuvre qu'on doit l'achèvement du repeuplement de nos vallées montagnardes, qu'avait impulsé le pouvoir carolingien. Pour réussir cela, Guifré s'appuya sur l'Église, dont plusieurs dignitaires locaux appartenaient à sa famille. Plusieurs abbayes, et plusieurs églises paroissiales que nous connaissons aujourd'hui ont été fondées à son époque. Ces lieux jouèrent un rôle essentiel pour stabiliser ces terres neuves.

Ayant connu son ascension du pouvoir par les armes, Guifré mourut par les armes. Il n'avait pas totalement réussi à s'émanciper de ses suzerains carolingiens, et devait donc assurer pour eux la sécurité de la frontière méridionale de leur empire. La menace de plus en plus pressante sur le comté de Barcelone du seigneur musulman voisin, Llop ibn Muhammad, l'obligea à une nouvelle guerre. Elle fut fatale à Guifré, tué par une lance le 11 août 897 du côté de l'actuelle Valencia.

Sa légende pouvait naître, portée par ses nombreux descendants, qui assurèrent la domination de sa dynastie durant plusieurs siècles sur toute la région.

La tombe d'el Pelos, située dans le monastère de Ripoll

Au fait: pourquoi el Pelos? Peut-être parce qu'il avait de longs cheveux. Ou peut-être, comme le veut la tradition, parce qu'il était doté d'une importante pilosité sur tout le corps.

Je vous laisse choisir...

Publié dans Ma vie

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La création des comtés catalans

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai raconté comment, lorsque les souverains carolingiens ont été maîtres de notre région, ils ont entrepris de la repeupler.
Encore fallut-il aussi la réorganiser. Dans ces temps lointains, plus encore qu'à mon époque, le pouvoir central devait pouvoir compter sur des relais sûrs, afin de ne pas voir son autorité se déliter, puis disparaître.

Donc, Charlemagne réorganisa, puisque l'éphémère marquisat de Gothie créé par son père Pépin le Bref n'avait jamais réellement signifié quelque chose.

Trop excentré, trop vaste, trop incertain à protéger...

Et comme aucune autorité politique autonome n'avait réellement existé auparavant dans ce qu'on n'appelait pas encore les terres catalanes, même si des chefs locaux s'étaient parfois imposés dans certaines aires restreintes, il dut les inventer. C'est d'ailleurs une invention politique qu'il appliqua à l'ensemble de son royaume. Plutôt que de créer de vastes ensembles à la fois difficiles à gérer et susceptibles de se détacher pour voler de leurs propres ailes, Charlemagne multiplia les autorités politiques locales, appelées des comtés, et confiées à des fidèles (souvent dans un premier temps à des membres de sa nombreuses famille).

Dans notre région, nous étions trop loin pour qu'il puisse se permettre d'exiler certains de ses meilleurs proches. Et la douloureuse expédition espagnole de 778 lui avait fait comprendre que la fidélité des peuplades pyrénéennes devait se mériter. C'est-à-dire qu'il valait mieux les associer à la réorganisation en cours, plutôt que de les tenir à l'écart. Les associer, cela ne voulait pas dire leur confier toutes les rênes du pouvoir local, mais s'appuyer sur elles. Il désigna donc, certes, un comte franc, mais bientôt des chefs locaux, descendants des wisigoths ou des peuples autochtones, montèrent en puissance.

Sous l'autorité d'une Marca hispanica (Marche d'Espagne, plus théorique que réelle, puisque aucun marquis n'y fut désigné), furent créés onze comtés, que complétèrent quelques territoires au statut plus flou, placés plus ou moins sous l'autorité de leurs voisins plus puissants.

Un territoire très morcelé, pour mieux l'organiser

Seul le comté de Roussillon, en fait, concerne les terres qui viennent d'être rattachées à la France en 1659. Plus ces compléments indistincts qui, du Capcir au Vallespir et aux Fenouillèdes, restaient un peu indéterminés. Sans doute parce qu'ils étaient moins bien contrôlables, leur géographie favorisant la multiplication d'habitats totalement autonomes. Peut-être aussi parce qu'ici ou là certaines familles jalouses de leur pouvoir local empêchaient une totale assimilation.

Pour diriger ce comté, dans un premier temps (à partir de 812, en fait, quand Charlemagne pourvut ces fiefs éloignés), les Carolingiens furent représentés par le comte Gaucelm. Il était carolingien lui-même, puisque fils d'un cousin germain de l'empereur: Guillaume de Gellone. L'homme qui était chargé de réorganiser tout le sud de la France, à partir de son fief de Toulouse. Mais autour de lui, les appétits de pouvoir étaient féroces, et ses fils, neveux et proches multiplièrent les trahisons, les meurtres, les coups de force. Gaucelm y participa, comme les autres... Il y perdit son comté, et peut-être la vie, en 832. Onze ans plus tard, après bien d'autres soubresauts, le pouvoir carolingien se décida à promouvoir un notable local, d'origine gothe: Sunyer, déjà comte d'Ampurias.

Ce n'est pas lui qui fonda la dynastie qui, à partir de 878, établit définitivement son règne sur toutes les terres catalanes. Mais à partir de lui, hormis quelques interruptions ponctuelles, les notables goths (locaux, donc) ne quittèrent plus le pouvoir dans les comtés catalans.

Jusqu'à ce que l'un d'entre eux émerge au-dessus des autres: Guifré el Pelos.

Un personnage essentiel, dans l'histoire catalane.

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Un espace à repeupler

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai expliqué l'autre jour que les armées de Charlemagne, lorsqu'elles traversèrent notre région sur la route de l'Espagne, en 778, la trouvèrent très largement abandonnée de sa population.
 

Le calife omeyyade Abd ar-Rahman et l'empereur Charles ILe calife omeyyade Abd ar-Rahman et l'empereur Charles I

Le calife omeyyade Abd ar-Rahman et l'empereur Charles I

Pas totalement déserte, certes. Ceux qui n'avaient pas eu la possibilité de partir (car il faut avoir les moyens, physiques et même financiers, pour prendre le chemin de l'exil) étaient restés, s'étaient terrés dans quelque vallée ou, sur la cote, dans les marais bordant la mer. Et la plupart des grandes villae construites aux temps romains n'existaient plus depuis longtemps qu'à l'état de ruines.
Ou alors, elles étaient occupées par des propriétaires plus ou moins précaires, qui avaient tenté de les fortifier peu ou prou, afin de les protéger de tous les mouvements guerriers de l'époque: les élites wisigothes, les conquérants arabes, les nouveaux venus francs...

Lorsqu'il eut assuré son contrôle sur toute la zone pyrénéenne, Charlemagne avait depuis longtemps compris que s'il voulait conserver ces terres et maintenir à distance l'émirat omeyyade, il lui fallait à tout prix repeupler et structurer notre région. Un espace vide, ou presque, est trop difficile à défendre!...
Il le fit de deux manières: en attribuant des terres et des droits à quiconque viendrait s'installer, ou se réinstaller, dans la région; en organisant l'administration et la gestion de ces territoires, pour en assurer la sécurité vis-à-vis d'éventuelles nouvelles invasions.

Autant le dire clairement: pour amener des individus, des familles, des clans, à venir ou revenir dans notre région, il fallait les motiver. Le simple fait que les Sarrasins fussent partis n'était pas en soi suffisant.
La seule motivation valable, à l'époque, était le don de terres. Arrachées à l'ennemi, celles-ci étaient juridiquement devenues propriétés royales. Le souverain carolingien pouvait donc en user comme il l'entendait. C'est ainsi que se généralisa le systèmes des aprisions: des colons étaient attirés dans notre région (mais aussi dans toutes les zones pyrénéennes enlevées aux Omeyyades), en échange de terres dont ils devenaient propriétaires. En plus de ce don en nature, les espaces attribués étant d'ailleurs souvent très étendus, ils conservaient un statut enviable: ils étaient des hommes libres, échappant à toute servitude.
Ils devaient en contrepartie respecter deux conditions: cultiver et faire prospérer les terres qui leur avaient été accordées; et rester libres, c'est-à-dire ne jamais se placer sous la servitude d'un maître qui y verrait le moyen d'étendre sa propre influence.
 

L'essartage (défrichement): la première étape de la mise en valeur des terres obtenues par aprision

Ce système des aprisions concerna deux types de bénéficiaires: des paysans chrétiens, venus pour beaucoup des zones espagnoles restées sous la domination arabe (on les appelait les Mozarabes), mais aussi pour certains du Languedoc et de toute l'ancienne Septimanie; des religieux, soucieux de réinstaller la foi chrétienne après les quelques années de domination musulmane, qui établirent plusieurs abbayes (je vous en ai déjà présenté certaines) dont les alleux étaient d'autant plus vastes que ces implantations étaient de solides appuis administratifs pour les nouvelles autorités.

Car il ne suffisait pas de repeupler. Encore fallait-il créer dans cette aire pyrénéenne les bases d'un pouvoir politique. D'une autorité qui s'y exercerait pour le compte de la monarchie carolingienne sans que celle-ci, bientôt accaparée par d'autres guerres, eût trop à se soucier d'y immobiliser troupes et finances.

C'est ainsi que Charlemagne mit sur pied la Marca Hispanica, la marche d'Espagne.

C'est elle qui fut la matrice, vraiment, de l'émergence d'une conscience catalane, indépendante de toutes les autres influences locales (arabe, carolingienne, espagnole...). Je vous détaillerai cela très bientôt.

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Pourquoi n'y a-t-il pas de seigneur à Argelès?

Publié le par Jaume Ribera

C'est une chose que je vous ai souvent dite: notre cité est exempte de tout lien avec un personnage qui en serait le chef seigneurial, que ce soit par la possession du lieu, ou par la désignation par le pouvoir royal. C'est une situation qui n'est pas unique dans notre région, mais qui n'est pas pour autant très répandue.

S'il y a un point où les royaumes français et espagnol se ressemblent en partie, c'est celui de l'organisation des pouvoirs locaux. Mais il y a une différence essentielle entre eux: en Espagne, nous n'avons pratiquement pas connu ce que l'histoire a appelé le système féodal. Inventé dans le monde germanique et mis totalement au point par la monarchie carolingienne, ce système se caractérisait (pour faire vite) par toute une hiérarchie de liens d'allégeance et de contrôle qui structuraient de nombreux niveaux de la société. Des plus hauts seigneurs (les ducs, les comtes...) jusqu'aux plus humbles des habitants (les serfs, voire dans certains cas de véritables esclaves).

Un système très sophistiqué adopté par presque tous les pays d'Europe... Mais pas l'Espagne

L'élément central de ce système était la possession de la terre: le fief constitué par ce que chacun possédait (ou pas) donnait le pouvoir qui serait le sien sur ses contemporains.

Parce que l'Espagne fut longtemps dominée par un califat arabe et musulman, qui n'avait ni le même rapport à la terre, ni le même souci de déléguer un quelconque pouvoir administratif à qui que ce soit, notre ancien royaume (il faut que je m'habitue à ne plus le considérer comme mien, depuis le Traité de 1659) n'a pas vraiment connu le système féodal. Ou plutôt il a connu, tardivement et de façon édulcorée, une féodalité imparfaite.
À cet égard, les terres catalanes ont certes fait en partie exception, mais en partie seulement. Parce que la présence franque s'y imposa plus longuement (après la création de la Marca Hispanica), et parce que son influence s'y est maintenue durant les longs siècles de la domination du califat des Omeyyades.

La Marca Hispanica de Charlemagne, lointaine ancêtre territoriale de notre actuelle Catalogne

Dans toute l'aire espagnole, même en terre catalane, l'absence ou la faiblesse du lien féodal a permis l'apparition d'un niveau de hiérarchie administrative bien plus précoce et plus puissant qu'ailleurs, et notamment qu'en France: les cités. Pour diverses raisons, mais surtout parce qu'ils ne voulaient pas s'encombrer de seigneurs trop envahissants, les monarques espagnols ont choisi au fil des décennies, y compris en terre catalane, de doter ces cités (que l'on appela des cités libres) d'institutions échappant à une quelconque appropriation par qui que ce soit.
Seuls deux maîtres y étaient reconnus: le roi et l'évêque. Pas de seigneur local. Même ceux qui pouvaient se targuer d'un titre plus ou moins nobiliaire (les ricos ombres, les hidalgos...), dès lors qu'ils s'installent ou qu'ils vivent dans la cité, sont soumis aux mêmes règles et aux mêmes charges que tous les autres habitants de celle-ci. Des chartes municipales, accordées par le pouvoir royal fixaient les termes de ces règles.

Très tôt, elles ont été en avance sur ce qui pratiquait usuellement à la même époque. Patrick me dit que vous appelleriez cela une gestion démocratique.
Je vous raconterai en quoi consistait l'organisation de ces chartes municipales, car c'est un système qui a largement contribué à façonner notre société, au fil des siècles.

Et parce qu'Argelès fut, dès le treizième siècle, l'une de ces cités libres.

C'est pour cela qu'elle n'a jamais eu de seigneur.

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Après la conquête musulmane

Publié le par Jaume Ribera

Durant une cinquantaine d'années, au VIII° siècle, le Roussillon et toutes les terres montagneuses qui l'entourent ont appartenu à l'Émirat de la dynastie arabe des Omeyyades. En fait, lorsqu'ils nous ont conquis, après toute l'Espagne, vers 719, nous sommes passés d'une domination (wisigothe) à une autre (arabe). Cela ne nous changeait pas beaucoup, à part que les Wisigoths étaient là depuis plus de quatre siècles, et que nous avions fini par nous habituer à leur présence: nos deux groupes étaient totalement mêlés et constituaient une société assez harmonieuse.

J'imagine le changement soudain que dut être l'irruption d'un nouvel acteur, différent par sa langue, sa culture, et surtout sa religion, dans les vastes propriétés des villas romaines de notre région. Et parmi les cabanes de pêcheurs qui tenaient lieu, à l'époque, d'habitation là où se situe aujourd'hui Argelès!
 

Les guerriers omeyyades qui prirent le contrôle de nos terres au début du VIII° siècle

Il ne fallut pas très longtemps, cela dit, pour inquiéter les nouveaux maîtres carolingiens, dans le royaume franc. Les incursions de plus en plus fréquentes et audacieuses des bandes armées sarrasines à l'intérieur du royaume poussèrent celui-ci à réagir. Avec force. Dès 759, tous les territoires au nord des Pyrénées étaient passés sous le contrôle des Carolingiens.

Mais ce n'est pas de cela que je veux vous parler.
Cela, vous le trouverez, en bien mieux expliqué que je pourrais le faire, dans n'importe quel ouvrage historique.

Ce que je peux vous raconter, moi, c'est l'état dans lequel les Francs ont trouvé notre région. Parce que Francisco (qui s'est un temps passionné pour cette période) m'en a souvent parlé. Nous avons même eu de longues et passionnantes conversations à ce sujet. Nos terres sont tellement différentes, désormais... Cela nous plaisait bien, de les imaginer dans leur lointain passé!...
 

Presque toute l'Espagne fut occupée... Et la Septimanie méditerranéenne, également

Et comment étaient-elles, dans ce passé?
Vides.
Pas complètement, bien sûr, mais le pays catalan s'était fortement dépeuplé, durant le demi-siècle de présence sarrasine. Ce n'est pas tellement, d'ailleurs, que les Omeyyades et leurs troupes eussent multiplié les violences; au contraire. Oh bien sûr, il y eut bien quelques razzias ici ou là. Mais surtout dans la plaine, près de la côte.

La zone montagneuse, dès lors, aurait pu être un lieu de refuge naturel. Mais elle était hostile. Il n'y avait encore presque aucun des villages qui la parsèment de nos jours. Seules les vallées (et encore celles des grandes rivières, le Tech et la Têt) rassemblaient quelques groupes d'habitations.
La presque totalité du reste de notre région était couverte d'une forêt dense et souvent impénétrable. Dans laquelle de rares ermites, ou vagabonds, ou criminels pourchassés (parfois tout cela à la fois) vivaient à l'écart de tout. Et de tous.

Alors, puisqu'il n'y avait pas vraiment où aller pour se réfugier en restant sur place, les gens partirent. Vers le Languedoc pour la plupart; jusqu'en Comminges et même à Toulouse pour d'autres. À cette époque, nombreux furent ceux qui ont quitté ce pays qu'on n'appelait pas encore catalan.

C'est pourquoi ce sont des territoires quasiment déserts que traversèrent les troupes de Charlemagne lorsqu'en 778 elles les traversèrent en direction de l'Espagne. Il fallut les réorganiser. Et surtout les repeupler.

Monnaies omeyyade et carolingienne. Les seuls souvenirs physiques qui nous restent de cette époqueMonnaies omeyyade et carolingienne. Les seuls souvenirs physiques qui nous restent de cette époque

Monnaies omeyyade et carolingienne. Les seuls souvenirs physiques qui nous restent de cette époque

Je vous raconterai prochainement comment ils s'y sont pris... Parce que ces années sont le vrai berceau de l'entité catalane. Qui naquit de cette période de reconstruction et de repeuplement.

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Argelès ... à l'origine

Publié le par Jaume Ribera

Je vous l'ai dit il y a environ une semaine: la mer, jadis, s'étendait bien plus profondément dans l'actuelle plaine roussillonnaise que de nos jours. Là où se situe Argelès, puisque nous sommes au pied de la montagne pyrénéenne, l'avancée de la mer était toutefois moins importante qu'au niveau de Canet ou de la Salanque. C'est pourquoi je vous disais qu'en ces temps éloignés (deux millénaires avant notre ère, environ), Argelès aurait été un port ... s'il y avait existé quelque chose.

Mais il n'y existait rien. Rien en tous cas qui puisse avoir accroché la mémoire des hommes, par delà les siècles. Sans doute quelques pauvres cabanes, mais rien qui pût être appelé un village (même au futur).

La première mention d'Argelès, en tous cas, date de bien plus tard: à la fin du IX° siècle seulement. À cette période, la royauté carolingienne a entrepris de repeupler cette terre dont elle vient de chasser les Sarrasins, quelques décennies plus tôt. Elle l'organisa en Marche d'Espagne, dont elle confia la gestion à quelques nobliaux locaux, presque tous wisigoths d'origine. Ceux-ci contribuèrent à la première apparition de lieux d'habitats regroupés, qui devinrent plus tard les villages que nous connaissons.

La réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers CarolingiensLa réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers Carolingiens

La réorganisation de notre (future) Catalogne sous les premiers Carolingiens

Toutefois, lorsqu'en 879 un texte foncier cite pour la première fois la Villa de Argilariis, cela ne veut bien sûr pas dire la "ville". Il faut le comprendre dans son sens latin traditionnel: la propriété.
À ce moment-là, le territoire de notre future cité n'est qu'une simple possession foncière. De qui? De l'abbaye de Saint Genis, dont je vous ai parlé il y a peu. Hormis les quelques pauvres hères qui y travaillaient la terre argileuse, cette possession n'était rien d'autre qu'un vaste espace semi-désertique, qui ne devait pas apporter beaucoup de ressources à la toute nouvelle abbaye.

J'ai dit "terre argileuse"?
Eh bien oui: là est l'origine du nom d'Argelès. L'argile qui est en abondance dans son sous-sol (signe de la lente sédimentation des temps où tout cela était recouvert par les eaux) a donné son nom à la zone et à la propriété foncière qui s'y trouvait.

Ce n'est qu'au cours du XI° siècle qu'à cet endroit se développa, assez rapidement, un véritable bourg, qui est devenu ensuite notre cité. Administré par les comtes catalans, qui s'étaient assez vite émancipés de leurs tuteurs carolingiens, le Roussillon connut à cette époque une véritable prospérité économique. Il attirait de nombreuses populations venant s'y installer, tant de Francie que de l'Espagne restée sarrasine.
Située au carrefour des voies d'échange et de passage, suffisamment distante de la mer et de la montagne pour se sentir sécurisée, la Villa de Argilariis a tiré profit de cette situation, et s'est structurée en village avec son église, ses fossés défensifs, ses premières tours fortifiées, ses habitations regroupées, ses quelques jardins extérieurs.
Elle attira aussi les populations des quelques paroisses qui préexistaient, plus près de la montagne, et dont ne subsistent plus aujourd'hui (pas toujours) que les petites églises, dont j'ai déjà évoqué certaines: Saint Laurent, Saint Pierre, La Pava, Saint Julien...

Le temps des origines était fini: la cité royale pouvait commencer son destin. Un destin que je vous raconterai, bien sûr, et qui fut assez vite riche, si l'on en croit les vestiges qu'il nous a laissés.
 

Le capbreu de 1292, éloquent livre de droits féodaux, l'un des plus beaux de l'époque

 

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Nos plus lointains ancêtres

Publié le par Jaume Ribera

En ces temps où, paraît-il, vos contemporains débattent beaucoup sur ce que vous appelez "le peuple catalan", permettez-moi de vous rappeler que cette appellation, et l'utilisation politique qui en est faite à votre époque, est assez étrange. Et même si à mon époque, l'appartenance à un ensemble qui ne soit ni Français, ni Espagnol a un certain sens, à cause des décennies de guerres qui nous ont amenés à rejeter les deux allégeances, on ne peut pas dire que nous sommes ce que vous appelez "une nation". J'ai d'ailleurs eu du mal à comprendre exactement ce que signifie ce terme, quand Patrick me l'a expliqué; on ne l'emploie pas, durant mon dix-septième siècle.

L'idée catalane, en fait, n'est pas une réalité ethnique. Du moins pas aux origines historiques de ma région. Ceux qu'on appelle les Catalans ne sont pas distincts des populations qui les entourent. Et d'ailleurs, bien malin qui pourrait énumérer (et il se tromperait lourdement) les éléments différenciant les Catalans des autres populations de l'ensemble ibérique.

Ce qui fait notre spécificité, avant tout, c'est la particularité linguistique. La langue que nous parlons vient tout simplement du latin. Pas du latin savant, celui des élites romaines, mais d'un latin plus rudimentaire, celui des marchands, des soldats, des marins... de tous ceux que leurs déplacements ont conduits dans les provinces de l'Empire puis de l'aire de civilisation latine, même aux temps wisigothiques. Cette langue est bien sûr imprégnée d'espagnol (aragonais et castillan mêlés), mais aussi de sarde, d'occitan, de provençal... On y trouve aussi quelques restes du parler des Wisigoths. Et même, paraît-il, quelques mots d'origine arabe, puisque les Sarrasins ont fait irruption chez nous durant quelques décennies avant d'en être chassés par Charlemagne.

Quoi qu'il en soit, c'est la langue catalane qui a peu à peu contribué à cimenter notre population, et pas un quelconque particularisme ethnique ni même politique. On ne voit pas apparaître d'entité politique qu'on pourrait rapporter, d'une façon ou d'une autre, à ce qu'on appelle aujourd'hui la Catalogne, avant l'épopée de Guifré el Pelos, petit seigneur local de Ria, dans le Conflent, qui en quelques années devint comte à Barcelone, et à ce titre premier "souverain" catalan. C'était durant le dernier quart du neuvième siècle.

Et avant, alors?

Eh bien avant, les habitants de notre région étaient un mélange extrêmement complexe de peuplades ibères, fortement latinisées, avec d'importantes strates gothiques (surtout des Wisigoths, mais pas uniquement), grecques, carthaginoises, et probablement aussi celtiques. Les innombrables brassages qui eurent lieu lors des longues périodes d'invasions successives laissèrent autant de traces, plus ou moins importantes, de leur passage.

Francisco m'a un jour expliqué que les premières populations vivant dans notre Roussillon avant les conquêtes romaines, que nous pouvons donc considérer comme nos ancêtres les plus anciens, ont été les Sardones (ou Sordons). Ils étaient déjà présents un millénaire avant notre ère, et connurent eux aussi plusieurs métissages!...

Quelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtresQuelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtresQuelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtres

Quelques monnaies: les seuls vestiges qui nous restent de ces mystérieux ancêtres

Certains textes latins très anciens les citent, mais sans vraiment insister sur leurs origines (Patrick me dit d'ailleurs que vous n'en savez pas beaucoup plus sur eux, plusieurs siècles après mon époque). Ils nous apprennent toutefois que nous leur devons au moins deux cités importantes, qui existent toujours: Eliberris, devenue Illiberis sous les Romains, et qui n'est autre que la cité d'Elne; et le port de Pyrénée, Portus Veneris sous les Romains, c'est-à-dire Port-Vendres pour nous désormais.

Dans ces textes anciens, il n'est bien sûr pas question d'Argelès... Il n'y avait sûrement rien, là où existe aujourd'hui ma petite cité. Quelques cabanes de paysans ou pourquoi pas de pêcheurs... Car il semble que les étendues d'eau étaient bien plus présentes, encore, qu'à mon époque.
J'en veux pour preuve cette description de la région qui nous vient d'Avienus, poète latin du quatrième siècle avant notre ère, qui dans ses Ora maritima décrivit les côtes méditerranéennes, dont les nôtres. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire découvrir ma terre roussillonnaise, telle qu'elle apparaît dans les vers d'Avienus.

Source: http://www.arbre-celtique.com/encyclopedie/sordes-sardones-790.htm

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Un État catalan?

Publié le par Jaume Ribera

Il paraît qu'on en parle beaucoup, en ce moment, à votre époque. Certains voudraient que renaisse un État catalan. J'avoue que cette perspective me laisse songeur; sceptique, même.

Bien sûr, ce serait amusant de voir flotter à nouveau la senyera, notre emblème national, à la tête d'un pays indépendant de tous (pour autant qu'un pays puisse vraiment être totalement indépendant!...).

Mais d'une part, ce nouvel État ne rassemblerait pas tous les Catalans. La partie de Catalogne qui vient d'être annexée resterait française, elle. Et d'autre part, il y a sans doute trop de siècles qui se sont écoulés depuis la dernière existence d'un État catalan!...

Un comté, en fait, comme il y en eut tant en Europe durant les temps carolingiens. Le comté de Barcelone, fondé à la fin du IX° siècle par Guifre el Pelos. Gouverné par ses descendants durant deux siècles et demi, avant que le mariage du comte Ramon Berenger IV avec Patronilla d'Aragon l'englobe dans une entité plus vaste.
 

Peinture tardive (fin du XVI° siècle) de l'union de Ramon Berenger et Patronilla

À partir de ce mariage, en 1137, il n'y a plus eu d'entité politique catalane distincte de l'ensemble espagnol.

Et cela devrait changer à votre époque? Ce serait quelque chose de vraiment étrange, que l'Espagne accepte de se laisser déposséder d'une terre qu'elle domine depuis presque 900 ans (pour vous)!

En attendant que cela se décide (ou pas), et en attendant que je vous en dise plus sur les origines et l'histoire du peuple catalan, laissez-moi vous parler de ce drapeau, que j'évoquais plus haut.

Nous le connaissons tous: D'or aux quatre burelles de gueules, comme disent les héraldistes.

Sa naissance date, dit la légende, de la deuxième moitié du IX° siècle. Le roi Charles le Chauve remercia un jeune seigneur catalan (le futur Guifre el Pelos) de son rôle décisif lors d'une bataille en trempant ses doigts dans la blessure du guerrier. Et en barrant de quatre traînées de sang le bouclier d'or de celui-ci, qui était appuyé sur la couche du blessé.
C'est beau, non?...
Mais hélas, c'est très probablement faux... Outre que le roi Charles n'est vraisemblablement jamais venu dans notre région, l'habitude de se donner des blasons n'apparut que deux siècles plus tard, lors des croisades en Orient...

Reste que même si à mon époque, guerres et annexion oblige, il n'est pas de bon ton de l'arborer trop ostensiblement, ce drapeau fait vibrer le cœur de tout Catalan.

Moi y compris...

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Nous n'avons pas d'évêque !

Publié le par Jaume Ribera

Il faut reconnaître que dans un pays, que ce soit l'Espagne ou la France, où la religion et surtout l'Église tiennent une place aussi importante, notre situation n'est pas banale. Mais c'est un fait: depuis 1643, toute notre région est privée d'évêque.

Juridiquement, selon l'administration de l'Église, nous dépendons du diocèse d'Elne. Nous? Presque tous les territoires annexés en 1659, soit le Roussillon, le Conflent, le Vallespir, les Aspres. Seuls les villages de Cerdagne que le traité de Llívia a laissés à la France continuent à dépendre, pour leur part, du diocèse d'Urgell.

Notre diocèse d'Elne jouit d'un certain prestige dans l'Église de France. Il est en effet parmi les plus anciens, puisqu'il a été créé dès le VI° siècle. Dès sa naissance, il prit une part active à la conversion au catholicisme des derniers rois wisigoths, alors que notre région était le dernier territoire qu'ils dominaient au nord des Pyrénées. C'est ce diocèse, aussi, qui contribua à l'expansion des multiples abbayes qui naquirent au cours des siècles suivants dans toute la région, et dont plusieurs subsistent encore à mon époque.
 

Carte du diocèse d'Elne après l'annexion de 1659

C'est sans doute à cause de ce prestige qu'il est l'objet, depuis 1643, d'une longue et violente rivalité entre la papauté et la couronne de France. Tout est parti, bien sûr, du siège et de la chute de Perpignan face aux armées du roi français Louis XIII. Une fois Perpignan tombée, c'est tout le versant septentrional de Pyrénées qui est devenu français.
Bénéficiant, depuis le concordat de Bologne du droit de désigner les évêques dans les diocèses français, Louis XIII a donc nommé, le 13 avril 1643, Joseph du Vivier de Saint-Martin au siège d'Elne, pour remplacer l'Espagnol Francisco Pérez Roya, qui occupait le poste depuis cinq ans.
Mais le pape ne l'entendit pas de cette oreille, et refusa de reconnaître cette annexion de fait. Pour Rome, le diocèse d'Elne était Espagnol et l'intervention armée de 1641-1642 au sud des Corbières ne pouvait en aucune façon changer cela. C'est pourquoi
Joseph du Vivier de Saint-Martin ne put jamais prendre possession de son siège apostolique. Quant à Francisco Pérez Roya, il fut nommé par le roi d'Espagne au siège de Cadix, où il mourut cinq ans plus tard.

Et comme malgré la signature du traité de 1659 ni la papauté ni la monarchie française n'ont fait évoluer leur position, le diocèse d'Elne et Perpignan n'a toujours pas d'évêque pour le diriger, à mon époque...

Vous dites?...

Que je viens de parler du diocèse "d'Elne et Perpignan", au lieu du diocèse d'Elne?

Tiens oui, c'est vrai... J'oubliais une autre particularité de notre diocèse.
Le siège épiscopal, c'est Elne. Mais depuis le début de mon siècle (en 1602 exactement), Onofre Reart, en poste depuis trois ans, a obtenu du pape Clément VIII qu'il officialise par un transfert de résidence ce qui se faisait dans les faits depuis longtemps: que les évêques avaient quitté Elne pour Perpignan.
 

Onofre Reart, qui laissa une trace décisive dans l'histoire de notre diocèse


Cette double appellation dure encore à votre époque, paraît-il... Même si sans doute rares sont ceux qui savent à qui on la doit...

Publié dans Ma vie

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Les Catalans: un peuple désormais séparé

Publié le par Jaume Ribera

Vous me direz que c'est le propre de toutes les frontières: séparer des peuples en deux entités qui appartenaient au même ensemble et qui, dès que cette frontière existe, vivent un destin différent. C'est ce qui arrive au peuple catalan, depuis le Traité des Pyrénées et les négociations qui, durant les mois qui ont suivi, ont partagé les villages, lieux-dits et hameaux entre les deux États.

Ce partage a forcément créé des situations difficiles. Ou du moins il a introduit de nouvelles façons, pas toujours simples, d'aménager les relations entre les voisins d'avant. Il y a deux endroits, dans ma région, où les conséquences du traité ont créé une situation véritablement absurde.
À Llívia, bien sûr. En s'accrochant avec force au statut de ville qu'un ancien édit du roi espagnol avait attribué à cette cité, les Espagnols ont fini par conserver la cité. Tous ceux qui ont lu Le novice de Serrabona savent dans quelle mesure j'ai été associé à cela. Le résultat, en tous cas, c'est que Llívia est désormais enclavée dans le territoire français. Et cela ne va pas être facile pour les populations locales: leurs déplacements, leurs échanges, leurs droits fonciers...
 

Où l'on voit qu'outre la cité, deux hameaux ont été conservés par l'Espagne

Au Perthus, plus près d'Argelès. Au cœur d'une des principales voies d'accès vers l'Espagne, empruntée dès les temps romains (on dit que César en personne, mais aussi Pompée, y auraient laissé des vestiges, aujourd'hui disparus...), la vallée se rétrécit tellement que chacun des deux pays voulut garder l'endroit pour lui. On décida finalement de séparer en deux le village: un côté français, à l'Ouest, et un côté espagnol, à l'Est.
 

En noir, la frontière qui coupe Le Perthus en deux

La plupart du temps, néanmoins, la séparation a réussi à éviter les situations les plus problématiques.

Sauf pour le peuple catalan. Pas forcément les gens eux-mêmes, mais l'entité catalane dans son ensemble. Car en presque un millénaire d'existence, c'est la première fois que les Catalans sont divisés entre deux pays distincts. Il n'y a jamais eu d'État catalan puissant, c'est sûr... Mais nous ne sommes pas un peuple disséminé, comme il y en a tant ici ou là (et Patrick me dit que ça ne s'est pas amélioré à votre époque).
Nous sommes un peuple qui est toujours resté uni, parfois dans ses propres structures, parfois à l'intérieur des royaumes espagnols successifs.

Un peuple dont il faudra que je vous raconte certains des pans de son histoire: c'est un sujet qui m'a toujours passionné, et Francisco m'a trouvé plusieurs livres sur le sujet.

Publié dans Ma vie

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