Un rocher en guise de frontière

Publié le par Jaume Ribera

Vous l'avez sans doute compris avec certains de mes précédents messages ici, c'est aux portes du Fenouillèdes, qui était déjà français avant 1659 que m'a entraîné ma dernière enquête. Je ne vous en dirai rien, du moins directement, car Patrick me l'a interdit puisqu'il est en train d'essayer de la mettre en forme. Je dis "essayer" car tout à fait entre nous (ne lui en dites surtout rien!...), je le sens moins à l'aise que d'habitude pour mettre en pages tout ce que je lui ai raconté. Quand je lui demande où il en est, je sens bien qu'il est bougon.

Il est marrant, Jaume... Pas toujours facile, de développer!...

Il est marrant, Jaume... Pas toujours facile, de développer!...

Histoire de ne pas lui donner le sentiment que je le laisse seul dans son souci, je viens vous parler d'une curiosité découverte sur place: une étrange (mais très ancienne) borne frontière. Longtemps la limite entre les terres contrôlées par l'Espagne (incarnée le plus souvent par le seul royaume d'Aragon) et celles qui l'étaient par la France fut imprécise. La notion de "peuple catalan", je vous l'ai dit aux débuts de ce blog, a longtemps été quelque chose de très flou. Et de toutes façons, les souverains des temps anciens se souciaient assez peu de la volonté des populations lorsqu'ils définissaient leurs possessions.
Il y a quatre siècles (pour moi en tous cas: c'était en effet en 1258), les représentants de Jaume I d'Aragon et de Louis IX de France se rencontrèrent à Corbeil, non loin de la capitale française, pour délimiter ce qui pouvait revenir à chacun des deux. On sortait à peine des temps complexes de la féodalité triomphante où les droits des uns et des autres étaient tellement entremêlés que les conflits (locaux ou plus larges) étaient permanents.

Je ne vais pas entrer dans les détails de ce qui a été décidé par ce traité, car je crois que vous disposez désormais de moyens d'information considérables où vous trouverez cela facilement si ça vous intéresse. L'idée générale est que la frontière entre le royaume aragonais et le royaume français suivrait dorénavant la ligne des Corbières. Ou à peu près; les représentants français, en effet, réussirent à conserver le Fenouillèdes. Il est vrai que la langue catalane y est beaucoup moins bien implantée.

Encore a-t-il fallu, sur place, matérialiser ce nouveau partage de la terre. Dans la plupart des cas, cela se fit par l'implantation de bornes en pierre assez massives. Mais celle que j'ai eu récemment l'occasion de rencontrer est particulière. Jugez plutôt de la différence.

À gauche: une borne classique. À droite: la Roque d'En TalouÀ gauche: une borne classique. À droite: la Roque d'En Talou

À gauche: une borne classique. À droite: la Roque d'En Talou

Cette Roque d'En Talou est située au milieu des propriétés, entre le village de Montner et celui que nous appelons Latour, parfois avec son ancien nom de Latour de Triniach, qui est pour vous Latour de France. Et oui, on dirait un simple rocher sans apparat particulier. Alors certains d'entre vous (car je vous sais taquins) vont me rétorquer: "Et qu'est-ce qui permet d'assurer qu'il s'agit là d'une borne de délimitation frontalière et pas d'une simple roche isolée?"
Tout simplement une particularité de celle-ci: sur ses deux faces ont été sculptées, assez grossièrement je l'admets mais très clairement, les armoiries des deux pouvoirs politiques qui se faisaient face à cet endroit.

Sur le côté tourné vers le Sud apparaît très clairement une croix pattée, qui était le symbole armorial des rois d'Aragon. J'ai toutefois été surpris de ne pas voir la fleur de lys des rois de France sur le côté septentrional.

En haut le côté aragonais. En bas le côté français.
En haut le côté aragonais. En bas le côté français.

En haut le côté aragonais. En bas le côté français.

Sur place, on m'a expliqué qu'il s'agissait des armes de la famille de Montesquieu de Roquefort. Une vieille famille du Lauragais qui possède de nos jours la seigneurie de Latour ainsi que quelques autres fiefs du Fenouillèdes.

Et qui, accessoirement, m'a donné pas mal de fil à retordre... Mais ça, c'est une autre histoire...

Publié dans Ma région

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