El moliner

Publié le par Jaume Ribera

Le meunier est l'un des personnages les plus importants, socialement et économiquement, au sein de toute communauté villageoise de mon époque.
Toutefois, ils ne sont pas si nombreux, ceux qui appartiennent à ce monde très fermé. Et souvent, ils exercent leur métier de père en fils, constituant des lignées assez inamovibles.

Pera Parer, dont c'est ici l'acte de mariage en 1589, était meunier et fils de meunier. Un de ses fils fut également meunier

Cette place centrale, le meunier la tient pour deux raisons.
La première, évidente, est qu'il est un élément essentiel dans la capacité de la communauté à se nourrir. Certes, les paysans (quels que soient leur fonction et leur rang) sont ceux qui produisent la nourriture, en cultivant la terre. Mais c'est le meunier qui permet de transformer les céréales produites, ou achetées, en farine ou en grains. Or, la farine et le grain sont les éléments de base de bien des préparations qui serviront à la nourriture (et pas seulement le pain). Donc même si la récolte est bonne, elle ne servira à rien si elle est gâtée avant d'être transformée. C'est sur le savoir-faire du meunier, donc, que repose d'une certaine manière la capacité de la communauté à éviter la disette, voire la famine.
La deuxième raison est plus politique. À cause de ce que je viens de vous expliquer sur la place centrale du meunier, les pouvoirs seigneuriaux qui se sont succédé au fil des siècles ont toujours cherché à contrôler les moulins, et donc ceux qui les faisaient fonctionner. Le meunier est très vite apparu, durant les siècles anciens, comme celui qui par son rôle connaissait et contrôlait tout: ce que chacun produisait, et ce que chacun recevait en farine ou en grain. C'est donc sur lui que les seigneuries mirent en place diverses taxes et droits sur la possession et sur l'usage des moulins. Ces droits, appelés droits banals, étaient ensuite répercutés par le meunier lui-même sur le prix demandé aux paysans. Ils ont ainsi créé un lien étroit entre ces deux acteurs, seigneur et meunier, chacun dépendant de l'autre.

À Argelès, nous sommes dans une situation un peu particulière à ce sujet. Comme je vous l'ai souvent dit, nous n'avons pas de seigneur, puisque la cité a un statut de ville libre. Il n'y a donc pas eu, au fil des siècles, de pouvoir qui pût implanter un moulin. Mais il y en avait dans les paroisses environnantes. En conséquence, ces autorités voisines veillèrent jalousement à ce qu'aucun moulin, qui aurait échappé à leur autorité, fût créé dans notre cité. En fait, Argelès dépend, pour ce qui est de ses grains et de ses farines, de deux moulins différents.
Le plus proche se situe à Tatzo. Il enjambe un petit ru affluent de la Ribereta, qui serpente dans les marécages entre le Tech et la cité.

El Moli de Tatzo, à votre époque

Mais il y a aussi le moulin de Collioure, bien différent d'aspect, dont Patrick me dit qu'après sa destruction totale au fil des siècles, il a entièrement été reconstruit tel que moi je le connais.

Dominant la baie de Collioure, le seul moulin à vent de la côte rocheuse

Comme vous pouvez le voir: deux moulins bien différents. Celui de Tatzo est un moulin à eau. De petite taille, certes, mais suffisant pour entraîner son mécanisme malgré le faible courant du ru. Celui de Collioure est à vent, comme plusieurs dans la Salanque ou dans le Fenouillèdes. Chez nous, la proximité des pentes des Albères perturbe trop les flux d'air (même ceux venant de la mer!...) pour permettre de tels moulins. Il est donc le seul de ce type dans tous nos environs.

Chacun d'entre eux est contrôlé par un pouvoir différent. Celui de Tatzo fut longtemps propriété des seigneurs du château (donc de mon ami Emanuel d'Oms, qui était le seigneur en titre quand les autorités françaises l'ont dépouillé de ses titres et de ses biens); celui de Collioure avait à l'origine été cédé par le roi de Majorque à celui qui le ferait construire (un certain Jaume Ermengald), mais il est à mon époque un bénéfice religieux, partagé de façon assez complexe entre les Frères Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, qui possèdent un prieuré dans la paroisse, et cette dernière. Plus probablement deux ou trois autres intervenants...

Mais attention: vous l'avez compris, je ne vous ai parlé ici que des meuniers à farine. Or, il existe dans notre région une assez forte production d'huile. D'olives, principalement, mais pas uniquement.
La production de l'huile fait appel au même type de traitement que la production de farines: il faut, dans les deux cas, écraser et broyer la matière première. Donc, on pourrait penser que la règlementation est la même. Il n'en est rien. Le moulin à huile, en effet, est de taille plus modeste, de coût de fabrication moins élevé et de maniement moins dangereux que le moulin à farine. Son rapport financier, par ailleurs, est moindre. C'est pourquoi les pouvoirs seigneuriaux, jadis, les ont moins contrôlés. Les droits banals existent, certes, mais ils sont moins élevés et moins contraignants. C'est donc pourquoi il existe plusieurs moulins à huile (on dit en général pressoirs) dans la plupart des communautés.

C'est ainsi qu'à Argelès, nous avons quelques familles de moliners parmi nous, bien qu'il n'y ait pas de moulins au sens usuel du terme.

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