Nos anniversaires
Allez savoir pourquoi (!), mais Patrick m'a demandé il y a quelques jours de publier aujourd'hui un texte sur la façon dont nous célébrons nos anniversaires, dans mon XVII° siècle catalan.
J'avoue que sa demande m'a un peu surpris. Quelle drôle d'idée, pour nous, de marquer d'une manière particulière le jour de sa naissance!...
Bon là, je vous arrête tout de suite, car j'en entends déjà certains rigoler franchement: "De toutes façons, à l'époque de Jaume, disent-ils, les gens ne savaient même pas quand ils étaient nés. Et ils ne connaissaient donc pas leur âge!..."
Ben voyons!... Voilà encore une des bêtises dont votre époque est souvent persuadée, au sujet de la mienne, et que vous devez chasser de votre esprit dès que possible... Bien sûr que nous connaissons notre âge, et que nous savons parfaitement quand nous sommes nés!
Et pourtant, tous ceux de votre époque qui furètent dans les vieux registres de la mienne ont remarqué les imprécisions, et parfois les erreurs, quand l'âge est indiqué. La raison est simple: nous n'avons jamais besoin de l'indiquer précisément. Quand nous nous marions, quand nous faisons baptiser un enfant, quand nous rédigeons un testament, est-ce réellement important de savoir si nous avons 25 ou 27 ans? 58 ou 62 ans?
N'oubliez pas, de plus, que les documents erronés auxquels vous pensez ne sont jamais rédigés par nous-mêmes. Et que ce sont souvent des proches (simples voisins, amis, parents plus ou moins éloignés) qui ont donné les indications au rédacteur de l'acte. Cela multiplie le risque des approximations.
Ces dernières, en fait, ne sont vraiment importantes (dix ans, quinze ans d'écart avec la réalité...) que lorsqu'il s'agit de personnes très âgées. Parce que dans ces cas, rares sont ceux qui sont eux-mêmes assez âgés pour corriger un souvenir trop imprécis chez l'intéressé.

Mais pour la plupart d'entre nous, je le répète, nous connaissons notre âge. Le seul renseignement qu'il nous manque souvent, c'est le quantième du mois. En ce qui me concerne, par exemple, je sais très bien que je suis né en 1630. En juillet. Plutôt vers la fin du mois... Mais pour trouver que c'était le 25, il m'a fallu demander au curé Morato (un jour où il était de bonne humeur...) de bien vouloir chercher dans ses registres.
Pourquoi cette ignorance, quasi générale, sur le jour précis de la naissance? Tout simplement parce que nous n'avons jamais besoin de nous en souvenir. À quoi cela pourrait-il bien nous servir?
À faire la fête, chaque année, lors du même jour?
C'est sans doute de là que vient cette croyance selon laquelle nous ne savons pas de quand date notre naissance: nous ne fêtons pas ce que vous appelez nos anniversaires!...
Pourquoi? Pour trois raisons, essentiellement.
Comme vous l'avez sans doute compris depuis que vous me lisez, la société dans laquelle je vis est fortement influencée par l'Église catholique. Or, celle-ci a toujours été réticente vis-à-vis de toutes les célébrations entourant la naissance. Peut-être parce que celle-ci est l'aboutissement du péché originel, se répétant lors de chaque conception. Quoi qu'il en soit, nos curés préfèrent que les éventuelles réjouissances aient uniquement lieu lors de la fête du Saint patron auquel les enfants ont été voués. C'est d'ailleurs pour cela que les chrétiens protestants, qui eux n'accordent pas d'importance aux saints, célèbrent les anniversaires; cela avait frappé Francisco, lorsque les voyages de sa jeunesse l'ont mené dans les Charentes protestantes.
Par ailleurs, les naissances se déroulent parfois mal. Hélas trop souvent, encore, même si la situation s'améliore à ce sujet, la mère ne survit pas à un accouchement. Ou le bébé ne parvient pas à vivre. La naissance d'un enfant est parfois associée à tant de souvenirs douloureux que personne ne ressent le besoin de la commémorer durant les premières années. Or, c'est durant l'enfance que ce type d'habitudes devient rituel.
Enfin, et cela aussi vous l'avez compris, notre société est plus collégiale qu'individualiste. Les occasions de réjouissances sont rarement associées à un individu seul. L'anniversaire, c'est la commémoration de la naissance d'un seul. Patrick me dit qu'il faudra deux bons siècles après mon époque pour que l'individu devienne un acteur social à part entière.
Vous l'avez compris: on n'est pas sur le point de célébrer un anniversaire, dans nos contrées!...

Ce qui ne nous empêche pas de nous amuser, en d'autres occasions, croyez-le...