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Nos anniversaires

Publié le par Jaume Ribera

Allez savoir pourquoi (!), mais Patrick m'a demandé il y a quelques jours de publier aujourd'hui un texte sur la façon dont nous célébrons nos anniversaires, dans mon XVII° siècle catalan.

J'avoue que sa demande m'a un peu surpris. Quelle drôle d'idée, pour nous, de marquer d'une manière particulière le jour de sa naissance!...

Bon là, je vous arrête tout de suite, car j'en entends déjà certains rigoler franchement: "De toutes façons, à l'époque de Jaume, disent-ils, les gens ne savaient même pas quand ils étaient nés. Et ils ne connaissaient donc pas leur âge!..."
Ben voyons!... Voilà encore une des bêtises dont votre époque est souvent persuadée, au sujet de la mienne, et que vous devez chasser de votre esprit dès que possible... Bien sûr que nous connaissons notre âge, et que nous savons parfaitement quand nous sommes nés!

Et pourtant, tous ceux de votre époque qui furètent dans les vieux registres de la mienne ont remarqué les imprécisions, et parfois les erreurs, quand l'âge est indiqué. La raison est simple: nous n'avons jamais besoin de l'indiquer précisément. Quand nous nous marions, quand nous faisons baptiser un enfant, quand nous rédigeons un testament, est-ce réellement important de savoir si nous avons 25 ou 27 ans? 58 ou 62 ans?
N'oubliez pas, de plus, que les documents erronés auxquels vous pensez ne sont jamais rédigés par nous-mêmes. Et que ce sont souvent des proches (simples voisins, amis, parents plus ou moins éloignés) qui ont donné les indications au rédacteur de l'acte. Cela multiplie le risque des approximations.
Ces dernières, en fait, ne sont vraiment importantes (dix ans, quinze ans d'écart avec la réalité...) que lorsqu'il s'agit de personnes très âgées. Parce que dans ces cas, rares sont ceux qui sont eux-mêmes assez âgés pour corriger un souvenir trop imprécis chez l'intéressé.

Dans l'acte de décès de Catharina Figueres, le curé précise qu'elle était âgée de 90 ans, mais ajoute aussitôt: "poch mes o menis"... Un peu plus ou moins...

Mais pour la plupart d'entre nous, je le répète, nous connaissons notre âge. Le seul renseignement qu'il nous manque souvent, c'est le quantième du mois. En ce qui me concerne, par exemple, je sais très bien que je suis né en 1630. En juillet. Plutôt vers la fin du mois... Mais pour trouver que c'était le 25, il m'a fallu demander au curé Morato (un jour où il était de bonne humeur...) de bien vouloir chercher dans ses registres.
Pourquoi cette ignorance, quasi générale, sur le jour précis de la naissance? Tout simplement parce que nous n'avons jamais besoin de nous en souvenir. À quoi cela pourrait-il bien nous servir?

À faire la fête, chaque année, lors du même jour?

Rien de tout cela n'existe pour nous (même en catalan)!...Rien de tout cela n'existe pour nous (même en catalan)!...Rien de tout cela n'existe pour nous (même en catalan)!...

Rien de tout cela n'existe pour nous (même en catalan)!...

C'est sans doute de là que vient cette croyance selon laquelle nous ne savons pas de quand date notre naissance: nous ne fêtons pas ce que vous appelez nos anniversaires!...
Pourquoi? Pour trois raisons, essentiellement.

Comme vous l'avez sans doute compris depuis que vous me lisez, la société dans laquelle je vis est fortement influencée par l'Église catholique. Or, celle-ci a toujours été réticente vis-à-vis de toutes les célébrations entourant la naissance. Peut-être parce que celle-ci est l'aboutissement du péché originel, se répétant lors de chaque conception. Quoi qu'il en soit, nos curés préfèrent que les éventuelles réjouissances aient uniquement lieu lors de la fête du Saint patron auquel les enfants ont été voués. C'est d'ailleurs pour cela que les chrétiens protestants, qui eux n'accordent pas d'importance aux saints, célèbrent les anniversaires; cela avait frappé Francisco, lorsque les voyages de sa jeunesse l'ont mené dans les Charentes protestantes.

Par ailleurs, les naissances se déroulent parfois mal. Hélas trop souvent, encore, même si la situation s'améliore à ce sujet, la mère ne survit pas à un accouchement. Ou le bébé ne parvient pas à vivre. La naissance d'un enfant est parfois associée à tant de souvenirs douloureux que personne ne ressent le besoin de la commémorer durant les premières années. Or, c'est durant l'enfance que ce type d'habitudes devient rituel.

Enfin, et cela aussi vous l'avez compris, notre société est plus collégiale qu'individualiste. Les occasions de réjouissances sont rarement associées à un individu seul. L'anniversaire, c'est la commémoration de la naissance d'un seul. Patrick me dit qu'il faudra deux bons siècles après mon époque pour que l'individu devienne un acteur social à part entière.

Vous l'avez compris: on n'est pas sur le point de célébrer un anniversaire, dans nos contrées!...

Ce qui ne nous empêche pas de nous amuser, en d'autres occasions, croyez-le...

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La cathédrale de Perpignan

Publié le par Jaume Ribera

Parce que Perpignan fut capitale, durant même pas un siècle (1276-1349) à l'époque du Royaume de Majorque, l'Histoire l'a dotée d'une cathédrale. Il existait déjà dans la ville, même réduite à ses modestes dimensions du Moyen-Âge, un assez grand nombre d'églises et d'implantations religieuses. Mais aucun de ces lieux n'avaient la taille ni la prestance d'une vraie cathédrale. D'un lieu qui, à lui seul, symboliserait au plan religieux la splendeur de la dynastie des rois de Majorque, comme leur Palais attestait de leur puissance terrestre.

Bien que capitale d'un royaume, la ville était bien plus petite que celle que je connais à mon époque

Alors, à partir du tout début du XIV° siècle, commencèrent les travaux d'édification d'une vraie cathédrale. Le projet initial était considérable, démesuré même: trois nefs, triple abside, multiplicité des chapelles sur les bas-côtés... Tout cela n'était pas vraiment raisonnable, il faut le reconnaître.
Certes, les bâtisseurs ne partaient pas sur rien: la vieille église de Saint Jean (désormais appelée Saint Jean le Vieux), légèrement excentrée vers l'est de la ville, avait été choisie pour servir de base architecturale au nouvel édifice. Mais même avec cette précaution, la construction de la cathédrale fut un échec.

Et c'est pour cela que la principale église de Perpignan arbore encore à mon époque l'aspect inachevé qui est le sien.

Pourquoi cet échec? Un enchaînement malheureux de circonstances historiques... Il faut être bien conscient qu'une telle construction était, au Moyen-Âge, un chantier qui s'étalait sur plusieurs décennies. Il fallait donc avoir la durée pour soi. Or, commencée en 1324, la cathédrale de Perpignan n'a eu que vingt ans durant lesquelles on put travailler réellement à sa construction. Dès 1344 en effet, le royaume de Majorque commença à s'effondrer, son roi Jaume III fuyant en exil devant les forces de son cousin Pere IV d'Aragon.
Et quelques années plus tard, une terrible épidémie de peste noire ravagea tout le continent européen, et donc notre région aussi.
L'heure n'était plus aux grands chantiers!...

Ce n'est que plusieurs décennies plus tard, à partir des années 1440, que le projet fut repris, revu à la baisse, moins majestueux et plus hétéroclite. Mais il fallut attendre 1509 pour qu'enfin la cathédrale fût consacrée officiellement. Et encore un siècle, je vous l'ai déjà raconté, pour qu'elle supplante Elne comme siège du diocèse épiscopal.

À quoi ressemble-t-elle, cette cathédrale Saint Jean-Baptiste, telle que je peux la voir? Deux choses frappent le regard, quand on la découvre pour la première fois.

Tout d'abord, elle n'a pas de clocher!... Patrick me dit qu'avant votre époque, un petit clocheton (mais un seul!...) lui a été ajouté. Mais de mon temps: rien!

Avouez que c'est un peu étrange, une cathédrale sans clocher!...

Par ailleurs, il n'y a pas non plus de parvis. Seule une rue, assez étroite, permet d'accéder au bâtiment. Il paraît qu'on a un peu élargi et enjolivé l'endroit, bien après mon temps, mais là encore il y a un côté indéniablement moyenâgeux à cette cathédrale tellement insérée au milieu des habitations environnantes qu'elle n'est même pas mise en valeur.

Et pourtant, elle est majestueuse!... La nef est large, haute, richement meublée d'objets religieux.

Plus majestueuse à l'intérieur que dehors...

La construction est massive et solidement fortifiée...

Un édifice en apparence imprenable

Mais elle ne se conçoit qu'insérée au sein de la ville. Cette ville grouillante et sans cesse animée qui lui fait comme un écrin, au milieu des échoppes des artisans du quartier.

Comme si même dans l'édifice majeur de sa vie religieuse, Perpignan ne parvenait pas à faire oublier qu'elle n'est devenue que bien tard la principale ville de notre région.

Publié dans Ma région

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L'apothicaire

Publié le par Jaume Ribera

S'il est un corps de métier que je devrais être amené à fréquenter régulièrement, c'est bien celui des apothicaires!...

Chaque apothicaire a son enseigne distinctive, parfois très stylisée...


Et pourtant, ce n'est pas souvent le cas. Tout simplement, parce qu'il n'y en a pas à Argelès. Aussi étrange que cela puisse paraître, alors que nous sommes plusieurs médecins dans la cité, il n'y a aucune boutique vouée à nous approvisionner en onguents, remèdes, potions, et autres substances. Sans doute parce qu'Argelès est très proche de la montagne, où nous allons nous-mêmes nous approvisionner en herbes sauvages, en racines, en fleurs aux propriétés médicinales utiles.

Contrairement à ce qui se pratique à votre époque, ce ne sont pas les malades ou même leurs proches qui, en général, se rendent chez l'apothicaire. C'est nous, les médecins, qui sommes ses interlocuteurs. Lui nous fournit en médecines diverses, que nous distribuons à nos malades.
Bien sûr, pour certaines substances de confort, ou dans le cas de traitements de longue durée, la boutique de l'apothicaire peut recevoir la visite de gens qui ne sont pas médecins. Ceux d'entre vous qui ont lu les livres que Patrick a écrits à partir de mes enquêtes se souviennent peut-être que Joan Salas, l'impérieux batlle de Palau, achetait lui-même son baume de germandrée directement à Elne, où un vieil apothicaire exerce toujours malgré le déclin démographique de sa cité (Les anges de Saint Genis).

Pour ma part, je regrette qu'il n'y ait pas une telle boutique à Argelès. Non pas pour m'y fournir en remèdes... Je prépare moi-même la plupart de ceux dont j'ai besoin, et dans certains cas, Francisco et même Sylvia m'apportent leur aide. Non. Ce que je regrette, c'est la boutique elle-même.

Plus ou moins luxueuses selon la richesse des boutiques, les armoires d'apothicaires renferment des quantités impressionnantes de substances recherchées

Dernièrement, lors de ma récente enquête dont Patrick est en train de rédiger le livre, j'ai été amené à fréquenter l'une d'entre elles, près de Perpignan. Quel ravissement!...
Quand on entre dans la boutique, on pénètre dans un paradis d'odeurs, de parfums, de récipients tous différents et aux contenus mystérieux...

Soit le marchand dispose du produit dont vous avez besoin, pour les cas simples, et il vous en vend la quantité demandée. Sinon, très souvent, il doit réaliser la préparation que lui demande le médecin. Dans sa boutique, l'apothicaire dispose en effet toujours d'un coin voué à de telles préparations, qu'il effectue lui-même. Un long plan de travail, encombré (mais pas trop: c'est un métier où un rangement sûr est une nécessité) d'outils et d'instruments qu'il est le seul à utiliser, avec parfois son apprenti lorsqu'il en forme un.

Mortier, pots, poêlon... Les ustensiles de base de l'apothicaireMortier, pots, poêlon... Les ustensiles de base de l'apothicaireMortier, pots, poêlon... Les ustensiles de base de l'apothicaire

Mortier, pots, poêlon... Les ustensiles de base de l'apothicaire

Vous l'aurez compris: l'apothicaire est quelqu'un d'important au sein de nos communautés. C'est pour cela que n'importe qui ne peut pas exercer ce métier. La profession, en effet, est très règlementée, quel que soit le pays dans lequel on se trouve. C'était déjà le cas dans le royaume d'Espagne. Et il semble que le contrôle exercé par nos nouveaux maîtres français soit encore plus strict. Partout dans le royaume, existent des confréries d'apothicaires, qui jouissent de nombreux privilèges et monopoles. Les autorités sont en train de faire entrer les apothicaires du pays catalan dans ces schémas français.

Et ce n'est pas simple!...

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La commanderie de Bajoles

Publié le par Jaume Ribera

Vous n'espériez quand même pas y échapper!...
À partir du moment où je vous ai parlé du Mas Deu, la commanderie principale de l'Ordre des Frères Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, lointains successeurs dans notre région des Templiers du Moyen-Âge, il fallait que je vous parle aussi de la commanderie de Bajoles.

Avec une difficulté de taille pour vous: il va vous falloir me croire sur parole!
Patrick m'a en effet dit, quand je lui ai raconté les péripéties de ma dernière enquête, qu'il ne reste plus rien de Bajoles, à votre époque, hormis quelques vestiges que des scientifiques ont entrepris de fouiller!
Si Ramon de Soler, le difficile et ombrageux commandeur des lieux, que j'ai dû lui aussi côtoyer (affronter?) savait cela!... Lui qui est si fier de la rapidité et de l'efficacité avec laquelle il a réussi à effacer les destructions de la guerre franco-espagnole.

Il faut dire que la commanderie avait été très touchée par les péripéties du conflit. Sa situation l'y condamnait, d'une certaine marnière. Bajoles est en effet bien plus proche de Perpignan que le Mas Deu. Alors que celui-ci est isolé dans la plaine roussillonnaise, légèrement à l'écart des voies de passage des armées ennemies, la commanderie de Bajoles est située entre Perpignan et Château-Roussillon. À mon époque, c'est un peu à l'écart, mais quand même très près de la ville.

La commanderie a déjà disparu lorsque les cartes de Cassini ont été dressées (début XVIII° siècle)

L'origine de cette commanderie, à l'époque templière, se trouvait dans les nombreuses propriétés et alleux que les riches familles perpignanaises donnaient à l'ordre. La plupart se situant entre la ville et la mer, il fallait une structure pour les administrer qui soit moins éloignée que le Mas Deu. Une solide ferme fortifiée fut donc édifiée sur les riches terres du bassin de la Têt. Mais jamais cette ferme ne concurrença réellement, en pouvoirs ni en influence, la commanderie principale.

À droite: la reconstitution de la commanderie, à partir des vestiges découverts lors des fouilles dont le plan est à gauche. Attention: le sens est inversé entre les deux documents: l'église, en haut sur la reconstitution à droite, est en bas sur le plan à gauche


Jusqu'aux troubles franco-espagnols. Sa proximité avec Perpignan en fit un lieu disputé entre les deux armées: elle commandait un accès important à la ville, à partir de la mer.

Quand je m'y suis rendu, pour les besoins de mon enquête et alors que la paix était revenue, Bajoles faisait tout son possible pour prendre le pas sur le Mas Deu. Une fois de plus, je laisse à Patrick le soin de vous raconter ce qu'il voudra de cette rivalité, qui ne faisait pas les affaires de l'Ordre dans la région.

La commanderie que j'ai connue était fonctionnelle, mais impressionnante. Elle était entièrement structurée autour de la vocation agricole qui était la sienne au sein du partage des tâches parmi les implantations des Hospitaliers. Finalement, elle n'a rien qui la distingue d'un monastère comme les autres. Comme le montrent les pierres tombales du petit cimetière jouxtant l'église, dernière trace du passage de ses quelques moines.

Des lieux fonctionnels, entièrement voués à la gestion des multiples possessions de l'OrdreDes lieux fonctionnels, entièrement voués à la gestion des multiples possessions de l'Ordre
Des lieux fonctionnels, entièrement voués à la gestion des multiples possessions de l'OrdreDes lieux fonctionnels, entièrement voués à la gestion des multiples possessions de l'Ordre

Des lieux fonctionnels, entièrement voués à la gestion des multiples possessions de l'Ordre

À votre époque, je l'ai dit,il ne reste plus rien de visible de cette commanderie. Et pourtant, elle fut elle aussi un lieu de pouvoir et de richesses important dans l'histoire de la région.

Jusqu'à ma période troublée où, comme vous le lirez sans doute sous la plume de Patrick, elle fut l'objet de bien des soubresauts...

Mais chhuuuuuttttt !

Rendez-vous quand le livre sera fini.

Publié dans Ma région

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La commanderie du Mas Deu

Publié le par Jaume Ribera

Elle fut, longtemps, un véritable pouvoir politique, économique, social, dans notre région. Située dans la plaine, entre Trouillas et Bages, elle ne fait pas partie des endroits que je fréquente habituellement: elle se situe quand même à un peu moins de neuf lieues d'Argelès! (une vingtaine de kilomètres, dixit Patrick...).
Mais lors de ma dernière enquête (qu'il ne vous a pas encore racontée), j'ai été amené à visiter ce lieu chargé d'histoire.

Fondée au début du XII° siècle (une période fondamentale pour l'organisation et le déploiement des habitats dans notre région), la commanderie fut le lieu principal, entre Barcelone et Narbonne, de l'implantation des Templiers, à l'époque où ceux-ci étaient un ordre puissant.

Une aire d'influence considérable, offrant de nombreuses ressources à la commanderie

Leur organisation était extrêmement sophistiquée, et distinguait entre les implantations à vocation économique et celles à vocation militaire. Située loin des zones frontalières de leur influence, la commanderie du Mas Deu faisait partie de la première catégorie. Elle prospérait grâce aux nombreux dons de terres et d'alleux que lui faisaient les seigneurs et les notables locaux. Pour partie par sympathie envers l'Ordre; pour partie afin d'augmenter leurs chances d'accéder au paradis après leur mort.
Comme la région était extérieure au royaume français, les Templiers présents au Mas Deu échappèrent aux condamnations et aux exécutions ordonnées par Philippe le Bel et sa justice. Et lorsque le pape, en 1312, mit fin à l'existence de l'Ordre, il s'en remit aux archevêques locaux pour décider du sort de ses membres. Tous les Templiers catalans furent innocentés, et purent retourner dans leurs terres d'origine.

Pour autant, le Mas Deu ne cessa pas d'exister, car de même que la plupart des implantations templières, il fut récupéré par les religieux de l'Ordre des Frères Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Ils sont toujours à la tête de l'ancienne commanderie (qui a gardé ce nom), dirigés par l'austère Felip de Sabater que j'ai été amené à rencontrer. Un homme rude, mais loyal. Mais je laisse Patrick vous raconter tout cela.

Il reste que le lieu que j'ai découvert en me rendant à la commanderie a beaucoup souffert des guerres franco-espagnoles que nous venons de connaître. Et qu'il ne ressemblait guère à la représentation ancienne que Patrick en a trouvée.

L'un des bâtiments, dont l'ensemble entourait une vaste cour intérieure et comportait une église

En fait, tous les niveaux supérieurs sont désormais impropres à l'habitation de qui que ce soit, car de larges parties du toit ont été détruites. Et comme le Mas Deu est à l'écart de Perpignan, et sans doute dirigé de façon moins politique vie-à-vis de nos nouvelles autorités, il met beaucoup plus de temps à se reconstruire que l'autre grande commanderie hospitalière de la région, celle de Bajoles.

Mais toutes ces reconstructions, faites ou à peine entamées, n'ont servi à rien, me raconte Patrick! À votre époque, il ne reste plus rien de Bajoles, et presque plus rien du Mas Deu. Encore bien des destructions regrettables de ces vénérables implantations...

Quelques-une des rares bâtiments encore debout. En haut une chapelle. En bas: comment reconnaître la façade représentée sur le cliché précédent?Quelques-une des rares bâtiments encore debout. En haut une chapelle. En bas: comment reconnaître la façade représentée sur le cliché précédent?
Quelques-une des rares bâtiments encore debout. En haut une chapelle. En bas: comment reconnaître la façade représentée sur le cliché précédent?Quelques-une des rares bâtiments encore debout. En haut une chapelle. En bas: comment reconnaître la façade représentée sur le cliché précédent?

Quelques-une des rares bâtiments encore debout. En haut une chapelle. En bas: comment reconnaître la façade représentée sur le cliché précédent?

Éventrés, abandonnés depuis des décennies, les bâtiments de la commanderie n'ont pour vous plus rien de majestueux ni même d'imposant, comme ceux que j'ai pu voir.

J'espère qu'avec le récit que je lui en ai fait, Patrick saura en restituer la grandeur...

Ce serait une façon de les faire revivre.

Publié dans Ma région

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Le problème de l'eau dans Perpignan

Publié le par Jaume Ribera

C'est un souci majeur à mon époque: accéder à l'eau. À une eau, en tous cas, qui soit consommable sans aussitôt propager de fâcheuses épidémies.
Et ce, d'autant plus que rares sont les cités qui laissent pénétrer les rivières et les cours d'eau (hormis parfois de petits rus) à l'intérieur de leurs murs. Je connais bien ce maintien de la Maçana hors les murs de ma cité d'Argelès. J'ai pu constater, lors de mes déplacements vers Perpignan, qu'il en était de même dans cette grande ville: les murailles ancestrales suivent fidèlement le cours de la Basse, sans que celle-ci soit admise à couler à l'intérieur de l'enceinte. Et les projets du gouverneur de Noailles pour modifier le tracé des fortifications en englobant, au moins partiellement, le cours de la rivière rencontrent de nombreuses oppositions.

Les quartiers qui seront englobés par l'extension des fortifications, avec la Basse désormais incluse dans les murs de la ville

Et pourtant, pour vivre, les populations qui sont à l'intérieur des cités ont bien évidemment besoin d'eau. Et pas uniquement pour boire ou pour cuisiner!
Même si, je le sais, l'image que vous avez de notre époque est associée à la saleté et aux cloaques que seraient nos rues, la réalité est différente, je vous l'assure. Bien sûr, nous ne possédons pas tous les moyens et les artifices qui permettent à vos temps d'être bien plus performants que les nôtres quant à l'hygiène et à la propreté des lieux et des gens.
Mais même pauvres, nos maisons, nos rues, nos villages sont suffisamment récurés et entretenus pour qu'il soit possible d'y vivre sans pestilence. C'est plus difficile, c'est vrai, dans une grande ville comme Perpignan, où des milliers de personnes s'entassent dans des quartiers parfois très anciens.

Là plus qu'ailleurs, il est donc nécessaire d'amener l'eau à l'intérieur de la ville. Pour Perpignan, c'est la Têt qui pourvoit aux besoins de tous. Mais curieusement, pas la partie du fleuve qui passe immédiatement à proximité de la ville. Les terres qui sont entre la Têt et la Basse sont en effet largement marécageuses. Il y a trop d'eaux stagnantes pour qu'on puisse en prélever une part sans risquer la santé de tous.
Depuis des siècles, donc, c'est bien plus en amont que l'eau de la Têt est puisée. Du côté de Vinça, depuis le XII° siècle, une partie de l'eau du fleuve (qui à cet endroit est encore pure et claire) est détournée dans ce qui était appelé la Sequia Real de Thoyr (le canal royal de Thuir). Je vous épargne le trajet, souvent sinueux, de ce canal, qui de toutes façons fut entièrement détruit par de gigantesques crues en 1421.

La Sequia Real de Thoyr était pourtant dotée d'infrastructures impressionnantes

Les consuls de Perpignan décidèrent alors de financer la reconstruction d'un ouvrage du même type. Ce dernier existe encore à mon époque (et à la vôtre aussi, me dit Patrick).
L'eau est amenée jusqu'à la ville par un réseau de canaux et de ponts-aqueducs. C'est au sud de Perpignan que se rejoignent ces arrivées d'eau, qui sont ensuite guidées par des conduites à déversoir jusqu'à un grand réservoir. Une citerne, en fait, située juste derrière l'église du couvent des Carmes, à l'est de la ville. De cette citerne, partent plusieurs conduites amenant l'eau jusqu'à des fontaines situées en plusieurs endroits de la ville. C'est à celles-ci que les habitants viennent chercher l'eau dont ils ont besoin.

La plupart de ces infrastructures ont disparu pour vous. Mais il en reste quelques vestiges: ici l'un des aqueducs, au sud de Perpignan, baptisé "aqueduc des arcades"

Bien sûr, malgré sa complexité, ce moyen d'approvisionnement en eau est fragile. Les années de sécheresse sont encore plus ressenties dans la grande ville que dans les campagnes.

Mais au moins dispose-t-on du minimum nécessaire pour vivre décemment. Même dans notre dix-septième siècle...

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Faisons-nous du sport?

Publié le par Jaume Ribera

C'est, paraît-il, une des interrogations majeures de votre époque. Vous vivez, m'explique régulièrement Patrick, de manière beaucoup trop sédentaire... Et donc, vous passez votre temps à multiplier les occasions de pratiquer des activités sportives. Où non seulement vous perdez les calories de nourritures trop riches et mal consommées, mais en plus où vous reconstituez vos capacités musculaires...

Cela dit, moi je ne juge pas, croyez-le... Je vous donne seulement un avis de médecin!...

Mais je n'écris pas ici pour vous parler de votre époque et de ses pratiques, que vous connaissez mieux que moi. C'est de mon temps que je veux vous parler.

Et donc: faisons-nous du sport?
Alors je réponds tout net: si par faire du sport, nous parlons de cette pratique visant à faire de l'exercice sans autre finalité que de transpirer, de courir, de forcer...
Non, nous n'en faisons pas.

Des images totalement incompréhensibles pour quelqu'un de mon époque...Des images totalement incompréhensibles pour quelqu'un de mon époque...Des images totalement incompréhensibles pour quelqu'un de mon époque...

Des images totalement incompréhensibles pour quelqu'un de mon époque...

Ce n'est pas par paresse, ni par désintérêt, ni même parce que nous n'en aurions pas le temps... Mais tout simplement, parce que nous n'en avons pas besoin. Car de l'exercice physique, c'est toute notre vie quotidienne qui nous amène à en faire!... Et d'abondance!...

Songez plutôt: c'est par exemple à pied que nous effectuons tous nos déplacements. Et cela, même si certains d'entre vous doivent rire sous cape, puisque pour ma part j'adore emprunter un des chevaux de la garde d'Argelès lorsque je me rends dans un mas éloigné.
Il n'en reste pas moins que, contrairement à une idée très répandue dans la littérature de votre époque, nous nous déplaçons beaucoup. Pour aller dans les terres à travailler; pour aller vendre aux marchés et aux foires alentour; pour aller chez le notaire; pour se rendre à un évènement familial, même éloigné... Tous ces déplacements sont longs, parfois fatigants. Après une journée de marche, souvent chargé de lourds ballots, vous n'avez pas vraiment besoin de faire des exercices supplémentaires!...
Toutes les activités manuelles exigées par les différents métiers de nos vies quotidiennes, par ailleurs, sont également exigeantes pour nos organismes. N'oubliez pas que nous n'avons, dans notre dix-septième siècle, aucune autre force que celle de nos muscles pour tout accomplir. Seule, parfois, l'aide du bétail, quand on est assez riche pour en posséder, peut nous soulager.

Donc le sport pour le plaisir, nous n'en faisons pas.

Mais n'en déduisez pas pour autant que seule notre vie quotidienne nous permet de nous agiter quelque peu. Nous aussi, nous avons des moments de détente purement physique. Ce que vous appelez, aussi, du sport, et que nous appelons plutôt des jeux.

Beaucoup de ces jeux sont pratiqués dès l'enfance

Des moments où nous rivalisons les uns avec les autres, au sein d'une même communauté, ou entre villages. Trois types de jeux sont les plus répandus.

Ceux de force. C'est surtout dans les zones montagneuses qu'on les pratique. Lancers, levers, poussées, tirs à la corde, sciages rapides, parfois combats de lutte (aux règles extrêmement variables, et très peu codifiées...). Tout cela nous vient de plusieurs siècles en arrière. Parfois des temps antiques. Ils correspondent, finalement, à la recherche du prestige (même purement local) qui rejaillit sur tout un village quand il compte un champion parmi les siens.

Ceux d'adresse. Sans doute parce qu'ils ont souvent besoin d'accessoires, ces jeux sont moins fréquents dans nos terres. Et ils se pratiquent surtout dans des domaines dont l'utilité quotidienne est réelle: tir, visée, pêche à la main... Tant qu'à être adroit, autant que cela serve à quelque chose!...

Ceux d'équipe enfin. Il en existe aussi. Ces moments où des groupes entiers affrontent d'autres groupes. Avec pour seul but de s'amuser, de s'empoigner, de courir les uns après les autres (il arrive que tout cela se transforme en grosses poursuites à travers le village!...), et aussi, reconnaissons-le, de régler quelques vieux contentieux personnels à l'abri d'un groupe de corps entassés les uns sur les autres, ou d'un recoin à l'écart... Il n'y a pas vraiment de règles dans ces jeux collectifs. Si ce n'est celle de se défouler au maximum.

Une pagaille à peine organisée, qui parfois dégénère en empoignade générale

Aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont des moments essentiels à la cohésion de l'ensemble de la communauté.
L'ensemble? Il ne vous paraît manquer personne, dans la rapide description que je viens de vous faire?
Eh bien si!...

Les femmes, c'est vrai, sont très absentes se toutes ces joutes, de ces jeux.

Notre époque n'est guère ouverte à l'idée d'activités physiques pour les femmes. Du moins des activités physiques en public.
Car au sein du domaine familial, les femmes sont très loin d'être inactives, croyez-moi...

Je vous en reparlerai.

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Elne: la prestigieuse endormie

Publié le par Jaume Ribera

Elle est une des plus anciennes cités de notre région. Son existence, avec une certaine importance, est attestée dès le III° siècle avant notre ère, lorsque l'armée d'Hannibal y établit son campement, avant de négocier à Ruscino le droit de traverser pacifiquement notre région, afin de continuer sa route vers Rome. Ledit campement, d'ailleurs, s'étendait probablement bien au-delà de la seule cité, vu le nombre de ses soldats. Il est probable qu'il y en eut jusqu'à l'actuelle Argelès; du moins dans la partie exempte de marécages.

L'Elne moderne célèbre ce moment historique par une grande fresque murale

À cette époque, Elne portait le nom antique d'Illiberis. Ce n'est qu'au quatrième siècle qu'elle changea de nom. Les occupants romains voulurent honorer la personne d'Hélène, mère de l'empereur Constantin, dont la renommée était célébrée dans tout l'Empire.

Cité importante, Elne était à l'époque aussi un lieu religieux significatif: un temple chrétien y est attesté dès 350, suffisamment imposant pour servir de refuge (provisoire, en l'occurrence) à un fils fuyard dudit empereur Constantin. Plus tard, lorsque les Wisigoths conquirent notre région après la chute de l'Empire romain, ils firent de la cité Helenæ (devenue peu à peu Elne par déformation linguistique) le siège épiscopal de la région. Le choix était naturel: Ruscino tombait alors dans l'oubli, et Perpignan n'existait pas encore au-delà de quelques maisons. Siège épiscopal, Elne l'est toujours, plus de mille ans plus tard. Même si, comme je vous l'ai raconté un jour, l'évêque réside à Perpignan depuis quelques décennies.
En l'occurrence, cette désaffection épiscopale n'est pas la cause, mais la conséquence de l'endormissement d'Elne. Depuis le milieu du siècle dernier (pour moi! Je parle donc du seizième siècle), la population de la cité a considérablement chuté. Les habitants étaient environ un millier, il y a une centaine d'années (vers 1550). Ils ne sont plus guère que 150 aujourd'hui, et encore en comptant large!...
Les épidémies, les années de guerre (Elne est située sur le chemin qu'ont plusieurs fois parcouru les armées françaises et espagnoles ennemies, durant des décennies), l'attrait de villages et de bourgs à l'écart, plus propices à trouver du travail dans les fermes des mas alentours, l'ombre de Perpignan, située à un peu plus de lieues seulement (Patrick, une nouvelle fois, me souffle ce qu'il appelle une traduction pour vous: une quinzaine de kilomètres)... Tout cela a conduit au déclin accéléré de l'antique cité. Et de nos jours encore, il n'est pas rare que des familles continuent à quitter la cité, pour s'installer aux alentours, y compris dans le minuscule hameau de Tatzo, alors qu'elle fut longtemps un pôle d'attraction de nouveaux arrivants.

Seul vestige, finalement, de la grandeur passée: la cathédrale Sainte Eulalie et Sainte Julie. L'édifice actuel, massif, se situe dans la partie haute de la cité. On peut ainsi l'apercevoir de loin, dans les campagnes environnantes!...

Aussi majestueuse que le massif du Canigò


Ce bâtiment date du début de notre millénaire, mais il ne fait pas de doute qu'il a succédé à d'autres édifices religieux qui furent en leur temps le siège de l'évêché, et dont il ne reste désormais plus rien. Je vous en reparlerai, même si je le connais peu, car il recèle quelques trésors architecturaux qui valent la peine d'être évoqués. Le temps de demander quelques précisions à Francisco...

Hormis sa cathédrale, Elne est aujourd'hui comme endormie, encore enserrée dans ses murailles médiévales, comme Argelès. Mais alors que ma cité se sent de plus en plus à l'étroit, et commence même à déborder dans un petit faubourg le long de la route vers Collioure, il y a à Elne de plus en plus de maisons abandonnées, voire partiellement détruites. Et les murailles, bien plus massives qu'à Argelès, font comme un étrange rappel des temps anciens. D'autant plus étrange, d'ailleurs, qu'il y a là deux niveaux de murailles. La cité, en effet, est scindée entre la Ville Haute et la Ville Basse.

Aux temps les plus anciens, seule la partie basse (à l'Est) était habitée

Une façon, bien sûr, d'assurer une double protection face à d'éventuels assaillants. Mais aussi une façon de protéger l'espace ecclésial des soubresauts de la population d'en bas...

Publié dans Ma région

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Perpignan: LA grande ville!...

Publié le par Jaume Ribera

Perpignan!

Cela fait longtemps que je me dis qu'il faut que je vous en parle... Mais je renonce au dernier moment; comme si je craignais d'affronter un tel mastodonte!

Le mot n'est pas trop fort, croyez-moi. Lors du traité de 1659, la population totale des terres devenues françaises représentait environ 70 000 personnes. À elle seule, Perpignan en comptait 9000. Un habitant sur huit réside dans la capitale de la région!
Comment voulez-vous que nous ne nous sentions pas isolés, presque menacés, dans les villages voisins? Nous ne sommes que 350 à Argelès; ils sont 150 à Elne (pourtant siège officiel du diocèse!), 100 à Cabestany, 75 à Château Roussillon (l'antique Ruscino), 50 à Toulouges, une quinzaine à Orle...

J'ai souvent eu l'occasion de me rendre à Perpignan. Bien avant que les exigences de mes enquêtes m'y conduisent régulièrement. Et pourtant, je ne m'y sens jamais totalement à l'aise. Trop de monde. Trop de bruits. Trop d'agitation...

Car la vérité, c'est que Perpignan est une ville bien trop petite pour rassembler une telle population. Bien qu'ayant été capitale d'un royaume (celui de Majorque, jusqu'au milieu du XIV° siècle), la ville ne s'est jamais réellement étendue. Et lorsqu'à la chute de ce royaume, elle a été enfermée dans de véritables fortifications, elle n'en est plus sortie depuis. Songez que c'est seulement maintenant que les nouvelles autorités de la province parlent d'abattre certaines des antiques murailles pour en construire d'autres un peu plus loin, et agrandir donc (un peu!) la superficie de l'espace urbain.

Le Perpignan de mon temps: coincé entre la Basse et (maintenue au loin) la citadelle

Vous le remarquez sur ce plan qui m'est contemporain: les rues sont étroites, les espaces construits sont tassés les uns contre les autres, et hormis le vaste glacis entourant la citadelle, il n'y a plus guère d'espaces libres. Seules quelques parcelles, près de la Porte Saint Martin (à l'Ouest) ou de la porte d'Elne (à l'Est) peuvent encore être construites. D'ailleurs, c'est là que les quelques fortunes nouvelles de la région se font construire de belles demeures.

Entre les deux, la ville est un véritable chaudron en perpétuelle activité.
Je ne vais pas verser dans le misérabilisme dont, paraît-il, votre époque est friande dès qu'il s'agit de décrire (de critiquer?) nos modes de vie anciens.
Non, les habitants de Perpignan ne vivent pas dans la crasse et dans la misère totale. Mais se déplacer dans les quartiers populeux (le long de la Basse, ou dans le quartier Saint Jacques...) est une plongée dans un espace où tout le monde se côtoie et entremêle ses activités; où l'effervescence est constante, y compris parfois durant la nuit; et où, hélas, se sont agglutinés les innombrables réfugiés et orphelins des années de guerre, venus dans la grande ville chercher la protection et l'anonymat de la foule.

Je comprends, maintenant, pourquoi j'ai eu tant de réticences et d'hésitations avant d'aborder ce sujet: malgré sa petite taille, Perpignan est trop diverse et trop multiple pour l'évoquer dans son ensemble.

Maintenant que le premier pas a été accompli, il me sera peut-être plus aisé d'y revenir.

Et de vous faire découvrir ce qu'est, de nos jours, LA grande ville de notre région.

Publié dans Ma région

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La création des comtés catalans

Publié le par Jaume Ribera

Je vous ai raconté comment, lorsque les souverains carolingiens ont été maîtres de notre région, ils ont entrepris de la repeupler.
Encore fallut-il aussi la réorganiser. Dans ces temps lointains, plus encore qu'à mon époque, le pouvoir central devait pouvoir compter sur des relais sûrs, afin de ne pas voir son autorité se déliter, puis disparaître.

Donc, Charlemagne réorganisa, puisque l'éphémère marquisat de Gothie créé par son père Pépin le Bref n'avait jamais réellement signifié quelque chose.

Trop excentré, trop vaste, trop incertain à protéger...

Et comme aucune autorité politique autonome n'avait réellement existé auparavant dans ce qu'on n'appelait pas encore les terres catalanes, même si des chefs locaux s'étaient parfois imposés dans certaines aires restreintes, il dut les inventer. C'est d'ailleurs une invention politique qu'il appliqua à l'ensemble de son royaume. Plutôt que de créer de vastes ensembles à la fois difficiles à gérer et susceptibles de se détacher pour voler de leurs propres ailes, Charlemagne multiplia les autorités politiques locales, appelées des comtés, et confiées à des fidèles (souvent dans un premier temps à des membres de sa nombreuses famille).

Dans notre région, nous étions trop loin pour qu'il puisse se permettre d'exiler certains de ses meilleurs proches. Et la douloureuse expédition espagnole de 778 lui avait fait comprendre que la fidélité des peuplades pyrénéennes devait se mériter. C'est-à-dire qu'il valait mieux les associer à la réorganisation en cours, plutôt que de les tenir à l'écart. Les associer, cela ne voulait pas dire leur confier toutes les rênes du pouvoir local, mais s'appuyer sur elles. Il désigna donc, certes, un comte franc, mais bientôt des chefs locaux, descendants des wisigoths ou des peuples autochtones, montèrent en puissance.

Sous l'autorité d'une Marca hispanica (Marche d'Espagne, plus théorique que réelle, puisque aucun marquis n'y fut désigné), furent créés onze comtés, que complétèrent quelques territoires au statut plus flou, placés plus ou moins sous l'autorité de leurs voisins plus puissants.

Un territoire très morcelé, pour mieux l'organiser

Seul le comté de Roussillon, en fait, concerne les terres qui viennent d'être rattachées à la France en 1659. Plus ces compléments indistincts qui, du Capcir au Vallespir et aux Fenouillèdes, restaient un peu indéterminés. Sans doute parce qu'ils étaient moins bien contrôlables, leur géographie favorisant la multiplication d'habitats totalement autonomes. Peut-être aussi parce qu'ici ou là certaines familles jalouses de leur pouvoir local empêchaient une totale assimilation.

Pour diriger ce comté, dans un premier temps (à partir de 812, en fait, quand Charlemagne pourvut ces fiefs éloignés), les Carolingiens furent représentés par le comte Gaucelm. Il était carolingien lui-même, puisque fils d'un cousin germain de l'empereur: Guillaume de Gellone. L'homme qui était chargé de réorganiser tout le sud de la France, à partir de son fief de Toulouse. Mais autour de lui, les appétits de pouvoir étaient féroces, et ses fils, neveux et proches multiplièrent les trahisons, les meurtres, les coups de force. Gaucelm y participa, comme les autres... Il y perdit son comté, et peut-être la vie, en 832. Onze ans plus tard, après bien d'autres soubresauts, le pouvoir carolingien se décida à promouvoir un notable local, d'origine gothe: Sunyer, déjà comte d'Ampurias.

Ce n'est pas lui qui fonda la dynastie qui, à partir de 878, établit définitivement son règne sur toutes les terres catalanes. Mais à partir de lui, hormis quelques interruptions ponctuelles, les notables goths (locaux, donc) ne quittèrent plus le pouvoir dans les comtés catalans.

Jusqu'à ce que l'un d'entre eux émerge au-dessus des autres: Guifré el Pelos.

Un personnage essentiel, dans l'histoire catalane.

Publié dans Ma vie

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