Le Réart
C'est une rivière étrange, que le Réart!...
Une rivière qui me poursuit, si j'ose dire. Vous vous souvenez qu'à l'automne dernier, Francisco, Sylvia et moi avons quitté Argelès pour un long voyage devant nous amener dans la plupart des grandes abbayes de notre région, où nous souhaitions explorer leurs bibliothèques d'ouvrages médicaux. Voyage qui finalement fut interrompu dès Serrabona, pour la raison que connaissent tous ceux qui ont lu Le novice de Serrabona, récit de l'enquête que j'ai dû y mener.
Une de nos premières étapes fut un bien étrange mas, au-dessus de Montauriol: le mas d'en Manent. Francisco espérait y retrouver un de ses amis de jeunesse, et comme il était temps de nous restaurer, nous avons fait le détour... Non loin de ce mas, coule un petit ruisseau sans prétention, émergeant soudain d'entre les roches schisteuses, au pied de grands arbres. Les gens des alentours l'appellent el correc de Bertra. Un Bertrand, jadis, a dû avoir un rapport avec ce ruisseau, ou avec la terre où il prend sa source.
Si je dis qu'il me poursuit, ce ruisseau, c'est parce qu'il y a quelques semaines, lors de ma dernière enquête (celle que Patrick est en train de rédiger à partir de mon récit), je l'ai retrouvé. Près de Cabestany, où m'appelaient certains événements. Il n'était plus le petit correc presque timide que j'avais deviné au son cristallin que nous avions perçu en approchant de can Manent. Après avoir changé de nom plusieurs fois, au gré des villages traversés (correc dels Hostalets, ribera de la Galserana), il devient enfin le Réart lorsqu'il est définitivement entré dans la plaine du Roussillon, entre Fourques et Villemolaque.

J'ai beau le connaître depuis plusieurs années, puisque la voie qui mène d'Argelès à Perpignan le traverse, et que j'y passe régulièrement, je n'y avais jamais vraiment prêté attention, avant ces dernières semaines. Et pourtant, cette rivière est vraiment différente de celles que nous avons près de notre cité (la Massana, le Tech, et bien sûr tous les cours d'eau de montagne). Ceux-ci coulent entre de hauts buissons, voire de véritables haies d'arbres. Leur lit est bien marqué ente les rives assez rapprochées.
Il n'en est pas de même en ce qui concerne le Réart.
Le sol des terres dont il descend, schisteux, est en effet plus friable que celui du Vallespir ou des pentes des Albères. Les eaux parfois tumultueuses, lorsqu'il pleut en abondance, arrachent de gros galets, voire quelques rochers. Le fond de la rivière, donc, est beaucoup plus caillouteux que celui des rivières voisines. Et comme le sol est très perméable, dans cette partie de la plaine, le débit de la rivière est très faible. Elle est même souvent à sec, dévoilant le tapis de cailloux qui la caractérise. Ces pierres charriées ont pour conséquence de creuser les rives et d'entraîner leur éboulement. Le lit du Réart est ainsi bien plus large que nécessaire, par rapport à son faible débit.
La principale conséquence en est que, faute de berges suffisamment solides pour contenir sa fougue, il arrive assez fréquemment au Réart de déborder en crues assez dévastatrices, pour les cultures et les habitations. Le hameau de Saleilles, qui en est proche, en fait régulièrement la cruelle expérience.
Tout cela ferait déjà de cette rivière un étrange cours d'eau, par rapport à ceux que l'on rencontre dans la région.
Mais il a deux autres particularités, qui le distinguent définitivement.
Contrairement aux autres, il ne finit son trajet ni dans une autre rivière dont il serait l'affluent, ni même dans la mer vers laquelle il se dirige pourtant. Non. C'est dans le vaste étang de Canet qu'il termine sa course, contribuant ainsi à alimenter l'un des derniers vestiges de ces temps très anciens où la mer avançait bien plus profondément qu'aujourd'hui dans la plaine roussillonnaise.
Enfin, le Réart est une rivière aurifère!... Mais si! Les terres des Aspres, dont lui et la plupart de ses affluents proviennent, contiennent quelques filons d'or, surtout du côté de Montauriol, Llauro, Tordères. Ainsi, en aval, on peut trouver quelques pépites, parfois suffisamment grandes pour que les bijoutiers de Perpignan les achètent.
Je vous le disais. Une rivière étrange.
Et finalement, bien qu'elle soit moins connue que la plupart de celles des environs, assez attachante.