Le retour de la gabelle
La gabelle!...
Parmi tous les impôts et toutes les taxes que nous devons payer, c'est sans doute l'une de celles qui est la plus impopulaire. D'abord parce qu'elle concerne tout le monde au sujet de la possession d'un produit qui nous est essentiel. Ensuite parce qu'elle est longtemps restée inconnue dans notre région.
Vous le savez certainement: la gabelle est l'impôt sur le sel. Sur sa possession, plus précisément. Quoi que vous en fassiez, et même si vous vous contentez d'en garder des sacs auxquels vous ne touchez jamais et dont vous n'utilisez jamais le contenu (quelle drôle d'idée!...), vous devez payer cette taxe.
Or du sel, nous en utilisons. Nous en utilisons même beaucoup. Parce que c'est encore le meilleur moyen de conserver une certaine fraîcheur aux aliments que nous allons consommer.
Nous sommes une région où il fait chaud. Parfois même très chaud, comme en ce torride été 1662 que nous vivons en ce moment.
Couvrir les produits frais de sel leur permet de rester propres à la consommation. D'autant plus que nous sommes voisins de la mer, et qu'il y a longtemps eu des pêcheurs dans notre région. Il y en a moins en ce moment, mais on continue à consommer du poisson. Une denrée qui se dégrade vite, et à laquelle le sel permet d'assurer une consommation saine. On sait cela depuis les plus anciens temps.
C'est sans doute pour cela qu'à la fin du XIII° siècle (1283, me dit Francisco, bien plus savant que moi avec les dates), le roi de l'époque Pere III el Gran, roi d'Aragon, exempta tout le pays catalan de l'impôt sur le sel.
Bon! Il y avait sûrement d'autres raisons, plus politiques: c'était l'époque de sa grande querelle avec son frère Jaume II, qui venait de s'émanciper en fondant le royaume de Majorque, avec Perpignan pour capitale.

Quoi qu'il en soit, nos contrées catalanes du nord des Pyrénées étaient exemptées de cet impôt depuis lors. En 1659, nous sommes passés sous l'autorité du royaume de France. Mais lors de son voyage chez nous, l'année suivante, notre nouveau roi (Louis XIV donc) l'a affirmé haut et fort à plusieurs reprises: pas question de toucher à nos privilèges coutumiers!
L'affaire était donc simple: gabelle il n'y avait pas dans le passé, gabelle il n'y aurait pas à l'avenir!...
Et sur ce, surprise!...
Au début de cette année (1662, donc), nous apprenons qu'à Paris le roi vient de décider de soumettre la plupart d'entre nous à cette taxe. Vous imaginez l'impopularité de cette décision.
Aussitôt, les vieilles routes de la contrebande du sel qui avaient été florissantes durant des siècles entre le Roussillon et le Languedoc se sont réorganisées; le pouvoir royal a envoyé des contrôleurs chargés de vérifier si tous ceux qui possédaient du sel avaient payé leurs taxes dessus; et les incidents, parfois violents, ont débuté.
Alors même si le commerce du sel n'atteint pas chez nous le volume qu'il a dans certaines régions, où les greniers à sel sont parfois impressionnants par leur taille, quelque chose me dit que nous n'avons pas fini d'entendre parler de cette maudite gabelle, de ce côté des Pyrénées!...
